LES ETATS-UNIS ENTRE GAUCHISME ET POPULISME
29 avril 2016
L’Amérique change de visage. Déjà, elle avait élu Barak Obama, c’était un signe d’évolution mais ce n’était pas un changement en profondeur tant le président noir avait les codes de la société traditionnelle américaine incarnée pendant des décennies par les WASP (White Anglo-Saxon Protestant). L’évolution démographique – les latinos sont désormais plus nombreux que les blancs- et la crise de 2008 ont modifié à la fois la sociologie électorale et les mentalités.
Des primaires plus démocratiques qu’on ne le pense.
La campagne des primaires est un révélateur de ces transformations. Derrière le « barnum » des « super Tuesdays » et autres « caucus », il y a bien un processus démocratique dans le déroulement de la consultation : innombrables meetings, centaines de débats, multiples rapports, commentaires, sans compter les heures consacrées par les médias aux analystes de tout poil. Mais cette fois, les primaires ont pris une tonalité différente : le fait que Donald Trump écrase tous ses rivaux du côté Républicain et qu’Hillary Clinton soit bousculée par un Bernie Sanders rendent visibles le désarroi d’une Amérique mutante. Les citoyens ont envie de participer, d’entendre les candidats et aussi de se faire entendre d’eux. On découvre ainsi une défiance à l’égard de « l’establishment » et des candidats qui le représentent beaucoup plus forte que les fois précédentes.
La percée populiste de Trump.
Déjà, on avait vu le Parti Républicain traversé par le courant ultra conservateur du « Tea Party ». Cette fois-ci, ce sont les candidats de l’élite du parti qui ont été éliminés ou mis à l’écart. Ainsi le troisième représentant de la dynastie Bush, Jeb, a dépensé 140 millions de dollars pour rien, il a dû jeter l’éponge, Marco Rubio s’est retiré et si Ted Cruz reste en course, ses chances s’amenuisent au fil des élections. Son profil d’ultra conservateur ne lui permet pas de rassembler. Donald Trump s’est taillé un boulevard malgré le « Tout Sauf Trump » qui continue parmi les cadres du Great Old Party. Il surfe sur l’énorme frustration économique, la misère aussi, et sur une classe moyenne qui tremble devant la menace d’un déclassement social et se sent abandonnée ou oubliée par les élites. A chaque primaire, son avance se confirme, malgré ses outrances et ses erreurs. Il est le symptôme d'un mal américain qu'on ne peut pas ignorer : la peur de perdre son identité. « América first ! »
Le glissement à gauche des « démocrates ».
Côté démocrate, Sanders est le grand gagnant. La nomination comme candidat lui échappera sans doute, mais une étude de Harvard attribue au sénateur du Vermont la « gauchisation » radicale des opinions politiques des jeunes Américains (18-29 ans) : 45% se prononcent pour davantage de dépenses publiques pour réduire la pauvreté, 51% se disent opposés au capitalisme et 33% se déclarent même « socialistes ». Cette évolution est à prendre au sérieux et marque un tournant important de ce que l’on pourrait appeler la « gauche » américaine. En effet, cette génération des « millenials » est en train de remplacer celle des baby-boomers comme fraction numériquement la plus importante de la population des Etats-Unis et leur domination continuera à augmenter jusqu'en 2030 où ils représenteront un adulte sur trois.
La défiance des élites et des institutions.
Une grande partie des Américains a le sentiment que les actions de Washington ne se décident pas en fonction du bien commun, mais dans l’intérêt particulier des plus privilégiés. Ce sentiment explique beaucoup de choses, et notamment les grandes difficultés rencontrées par Hillary Clinton. Il est annonciateur de changements idéologiques dans la société US. Bernie Sander a longtemps été considéré comme une « curiosité » de la vie politique que l’on expliquait par son origine : élu du Vermont, état classé le plus à gauche des Etats-Unis. Son langage clair et simple, assis sur des propositions précises et concrètes pour résoudre les problèmes économiques et les demandes sociales urgentes, lui assure le soutien massif des jeunes générations. Un discours qui fait écho à l’inégale répartition des richesses, à l’évasion fiscale ressentie comme intolérable et qui propose de s’occuper davantage des équipements collectifs. De quoi compliquer sérieusement l’action d’Hillary Clinton plus en phase avec la stratégie dite du « recentrage » chère à Bill Clinton et qui lui avait valu son succès. Mais l’Amérique n’est plus la même et le contexte idéologique laissé par la crise a profondément changé.
D’un côté la perte d’identité fait le succès de Donald Trump, de l’autre la peur du déclassement social favorise la « renaissance » d’une gauche affirmée.
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