REBOND ! AH BON ?
17 mai 2015
Le gouvernement soigne sa communication et a les indices sélectifs. En effet, l'optimisme affiché de « Sapin-l’apothicaire » sur la croissance économique cache d’autre réalités. L’Insee annonce une croissance surprise à 0,6% pour le premier trimestre 2015, mais divise par deux la croissance de 2014 de 0,4% à 0,2% ; la dette publique progresse pour atteindre 95,6% du PIB en 2014, contre 92,3% un an plus tôt.
Une reprise sur une base étroite.
La France est enfin parvenue à se raccrocher au train de la reprise mondiale. Sa croissance sera probablement supérieure à 1 % cette année et on peut envisager qu’elle atteigne 1,5 % l’an prochain. Il n’en faut pas plus pour que le gouvernement fasse la roue comme un paon qui tourne autour de sa femelle. Il s’attribue déjà des lauriers sur le thème « ma politique est la bonne, la France sort de la crise». Hélas, trois fois hélas ! Que la France retrouve une conjoncture meilleure est une certitude, mais nos guignols de service laissent soigneusement dans l’ombre le fait que les deux grands facteurs explicatifs de cette amélioration sont « externes » : le prix du baril de pétrole divisé par deux et l’euro dévalué de 20 % par rapport au dollar. Eh oui, le pétrole redonne environ 20 milliards d’euros de pouvoir d’achat aux ménages et aux entreprises (merci la guéguerre Arabie-USA), et la baisse de l’euro dope en principe la compétitivité de nos exportateurs, et cela compte bien plus que l’usine à gaz du CICE dans le sursaut du PIB. Maintenant la question est de savoir si la reprise qui s’amorce va durer et à quel rythme va croître l’économie au cours des prochains trimestres, car la consommation des ménages en biens manufacturés qui a augmenté de 1,4 % sur les trois premiers mois de l’année va cesser de progresser aussi vite, selon les prévisions. Quant à la dégradation de notre commerce extérieur constatée par l’Insee, elle reste un problème car cela marque une aggravation du manque de compétitivité des entreprises françaises, alors même que l’euro s’est beaucoup déprécié ces derniers mois. Les importations, en hausse de 2,3 %, augmentent bien plus vite que les exportations qui n’ont, elles, progressé que de 0,9 %. Ce phénomène s’explique par deux causes qui s’additionnent, celle des importations liées à la consommation des ménages et celle de l’augmentation des composants importés nécessaires pour accompagner celle de la production industrielle hexagonale (+1,3% ).
Les incertitudes restent nombreuses.
D’autres évolutions rendent moins confiant : l’investissement des entreprises ne repart pas franchement puisqu’il n’a grimpé que de 0,2 %, plombé par la construction. Le point noir de l’emploi perdure : les destructions d’emplois sont encore nombreuses. Après une quasi-stabilisation au quatrième trimestre de 2014 (– 1.300 postes), la baisse des effectifs employés dans les secteurs marchands a repris. L’Institut de la statistique a décompté 15.799.800 postes dans les secteurs marchands non agricoles, soit 68.500 de moins qu’un an avant, selon une première estimation qui devra être confirmée. C’est la poursuite de la dégradation de la situation de l’emploi dans le bâtiment qui demeure la première cause de la mauvaise performance du premier trimestre, avec une perte de 13.000 postes. L’industrie a, pour sa part, continué à réduire la voilure à la même vitesse que celle des mois précédents (– 0,3 % contre – 0,4 %). Par contre, le tertiaire, intérim compris, a continué à créer des emplois, mais peu : 5.400 précisément. Donc pas de quoi inverser la tendance ! Enfin, le vent favorable qui fait frémir la croissance française dépend pour beaucoup des cours de l’or noir. Or ces cours ont déjà remonté, et seront vraisemblablement extrêmement volatiles dans les prochains mois.
L’environnement international reste déterminant.
Pour la première fois depuis cinq ans, les quatre grands pays de la zone euro sont tous en progrès. Quand tous nos voisins vont mieux, forcément, nous en tirons quelques bénéfices. Les pays du Sud confirment qu’ils relèvent la tête, excepté la Grèce : l’Espagne est sur une pente annuelle de 3 %, l’Italie a mis fin à quatorze trimestres successifs de récession, le Portugal consolide ses positions. Comme en France, cette embellie vient des consommateurs. C’est pour cette raison qu’elle est plus évidente dans le Sud de l’Europe, où les économies dépendent de la demande intérieure alors que dans les pays du Nord, comme l’Allemagne, elles sont davantage tirées par l’export. D’autres facteurs peuvent contribuer à consolider cette embellie. Ainsi, les exportations vers le reste du monde, qui sont stimulées par l’affaiblissement de l’euro, restent pour l’instant contrariées par une demande mondiale molle. On sait aussi que l’accélérateur de la croissance, c’est l’investissement, et de ce côté, il faudrait accélérer la mise en œuvre du plan Juncker, tandis que la Banque centrale européenne qui a déjà beaucoup fait en abaissant les taux d’intérêt et en déployant une politique non conventionnelle, devrait veiller à ce que l’argent irrigue davantage les petites et moyennes entreprises, celles qui ont le moins accès aux marchés financiers alors qu’elles sont les plus créatrices d’emploi. Il existe donc des marges de manœuvre qui ne demandent qu’à être stimulées.
L'économie mondiale patine.
Mais tous les économistes le reconnaissent, l’économie mondiale ne s’est pas remise solidement debout. La croissance ne remonte pas autant qu’elle devrait, dans aucun pays développé, tandis qu’elle perd de sa vigueur dans les « émergents ». Les Etats-Unis peinent autour de 2,5 %, alors que les sorties des précédentes récessions provoquaient des booms. L’Europe reste engluée, l’Allemagne elle-même semble patiner. Quant au succès britannique, s’il permet une victoire surprise de David Cameron, il n’arrive pas à effacer totalement les doutes qui planent sur sa durabilité. Les Etats-Unis arrivent au bout de l’assainissement, la Chine y entre en découvrant l’état d’endettement de ses grandes firmes et des collectivités. Le fait est que la reprise mondiale est entachée à la fois par un retour des bulles spéculatives, par un manque d’investissement dans les infrastructures, par des taux d’emplois insuffisants et par des inégalités très fortes. Ce qui rend l’analyse complexe. L’Europe est encore dans la phase d’assainissement, mais on connait bien son problème : il s’agit d’un défaut de construction institutionnelle. L’union monétaire reste incomplète sans union politique, sans union fiscale et sans politique macro-économique d’ensemble. Il faudrait une intégration plus serrée de la zone euro. Mais le problème est politique : les gouvernements n’osent pas demander « plus d’Europe » à des peuples qui en veulent moins. L’Union continue donc d’avancer à petits pas ce qui rend la véritable sortie de la crise d’autant plus lointaine.
La France n’est pas au bout du tunnel.
Si l’on peut espérer que la France soit sortie partiellement de la crise conjoncturelle, affirmer qu’elle est sortie de « la crise » est faux. La France, comme beaucoup d’autres pays, les Etats-Unis ou la Grèce, vit au-dessus de ses moyens en déficit double, budgétaire et commercial. Il lui faudrait changer de modèle. Sa croissance est enfermée depuis trente ans dans une spirale vicieuse : plus de subventions d’une main, plus d’impôts et de déficit de l’autre (politique de l’emploi, du logement, de l’industrie, etc). Sa sortie de crise passe, non pas par des réformes de ce système, mais par sa remise en cause générale et radicale, qui rendra chaque secteur de l’économie naturellement compétitif et autorisera la fin des subventions en tout genre. Nous en sommes malheureusement, là aussi, encore loin.
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