INTERVIEW DE NICOLAS SARKOZY A « ACTEURS PUBLICS »
04 avril 2012
Nicolas Sarkozy a accordé un entretien exclusif à Acteurs publics : poursuite de la RGPP, suppressions de postes dans la fonction publique… Nicolas Sarkozy veut imposer la règle du “un sur deux” aux “grosses collectivités locales”. Le chef de l’État répond aussi à François Hollande sur l’impartialité de l’État.
Quel bilan tirez-vous des périmètres ministériels inaugurés en 2007 ? Votre prochain gouvernement comptera-t-il de nouveaux ministères ?
Le ministère du Développement durable que j’ai voulu en 2007 est sans équivalent en Europe. C’est un outil institutionnel performant qui a permis dès 2007, avec le Grenelle de l’environnement, d’engager un vaste programme de mutation écologique. En associant plusieurs secteurs, nous avons fait évoluer notre modèle de croissance pour tendre vers un développement plus durable. En ce qui concerne l’organisation future des ministères, elle m’apparaît venir après la question du projet politique. L’essentiel, c’est d’abord de dire la vérité aux Français sur la situation, sur ce qui est indispensable, sur tout ce qu’on ne peut pas remettre à demain.
Le rattachement du ministère de la Réforme de l’État et de la Fonction publique au ministère du Budget a parfois été interprété comme fixant de seuls objectifs d’économies à la réforme de l’État. Reviendrez-vous sur ce choix ?
Il faut juger une organisation ministérielle à l’aune de ses résultats. En cinq ans, nous avons fait le remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, et dans le même temps, nous n’avons jamais autant signé d’accords avec les organisations syndicales de la fonction publique, par exemple sur le pouvoir d’achat, les conditions de travail ou le sujet des non-titulaires de la fonction publique. Croyez-vous vraiment que si nous avions eu une vision aussi caricaturale, nous aurions pu aboutir à de tels résultats ? En matière de réforme de l’État, ce qui compte, c’est d’abord le niveau de portage politique de ce sujet : pendant des années, il a été traité comme un sujet administratif, alors que c’est une question éminemment politique. J’ai fait de la réforme de l’État un sujet politique, dont les ministres s’occupent pleinement, et sur lequel ils sont attendus. Et c’est pour cela que nous avons fait des réformes que tout le monde avait renoncé ou échoué à faire, comme la fusion entre la direction générale des impôts (DGI) et la direction générale de la comptabilité publique (DGCP), la fusion de l’ANPE et des Assedic, la création des agences régionales de santé (ARS) ou la réforme des cartes judiciaire et militaire.
Allez-vous poursuivre la Révision générale des politiques publiques (RGPP) si vous êtes réélu ?
Oui. Les résultats de la RGPP que j’ai lancée en 2007 sont considérables à tous égards. 500 mesures de modernisation ont été lancées en quatre ans, qui ont permis de dégager 15 milliards d’économies sur la période 2009-2013 et contribuent ainsi à rétablir l’équilibre des finances publiques, que la France doit atteindre en 2016. La RGPP a permis d’améliorer les services pour les citoyens et les entreprises, de moderniser et simplifier l’État dans son organisation et ses processus, de développer la culture du résultat dans la fonction publique et de mieux valoriser le travail et le parcours des agents. Les agents publics ont bénéficié d’une hausse de leur pouvoir d’achat de 10 % entre 2007 et 2011, ce qui n’aurait pas été possible sans les économies générées par la RGPP. On ne peut pas aujourd’hui faire croire qu’on peut à la fois créer des postes et améliorer le pouvoir d’achat des fonctionnaires. C’est un mensonge qui ne résiste pas une seconde à l’analyse.
La question de la “politisation” de la haute fonction publique s’est invitée dans la campagne. Êtes-vous favorable à un spoil system à la française ?
Je n’admets pas que l’on pointe du doigt les hauts fonctionnaires et que l’on porte des accusations graves sur leur impartialité. Nous avons un statut de la fonction publique qui comprend des droits et des devoirs, et qui insiste sur un point : “Aucune distinction ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur sexe ou de leur appartenance ethnique”. Les hommes politiques sont le garant de ce statut et ne sont pas là pour porter des accusations contre tel ou tel ni pour annoncer que nombre d’entre eux devront quitter leur place s’ils arrivent au pouvoir. C’est une pratique des institutions bien éloignée de celle de la plupart des présidents de la Ve République qui se sont succédé. J’ai moi-même combattu ce type de réflexe partisan en faisant voter la révision constitutionnelle de 2008, qui permet aux commissions parlementaires de s’opposer aux nominations les plus importantes. Ce qui compte fondamentalement, c’est la compétence et l’intégrité.
Regrettez-vous le terme d’“épuration” pour qualifier les propos de François Hollande sur le remplacement de certains hauts fonctionnaires en cas de victoire de la gauche ?
Ce que je regrette, ce sont les accusations portées à l’emporte-pièce, au mépris de tous les textes de la fonction publique, de la pratique de nos institutions et des nominations qui ont été faites dans la haute fonction publique depuis 2007. Je n’ai jamais regardé la couleur politique des personnes qui étaient candidates, mais uniquement leurs compétences. Les nominations que j’ai faites à la Cour des comptes, dans le corps préfectoral ou dans le corps diplomatique le prouvent. J’aimerais que tous les candidats comprennent qu’un président de la République n’est pas là pour défendre ou placer les siens, mais pour s’assurer que la compétence prime toujours sur l’appartenance à une famille politique ou à un cercle d’amis.
En 2008, vous aviez annoncé la suppression du classement de sortie de l’ENA. Comment expliquez-vous qu’il soit toujours présent quatre ans après ?
Nous n’avons pas pu procéder par voie réglementaire et la suppression du classement de sortie de l’ENA par la voie législative a été censurée en mai 2011 par le Conseil constitutionnel. Ce qui importe, c’est qu’il y a désormais consensus sur le constat que j’ai dressé en 2007, c’est-à-dire sur le fait que le passage d’un concours à 25 ans ne peut pas déterminer le déroulement complet d’une carrière dans la haute fonction publique. Il faudra donc continuer à avancer sur ce thème de manière progressive et consensuelle.
Depuis cinq ans, avez-vous perçu les hauts fonctionnaires comme des alliés ou comme des adversaires des réformes que vous avez mises en œuvre ?
Nous n’aurions pas autant modernisé et réformé depuis 2007 si nous ne nous étions pas appuyés sur les hauts fonctionnaires. La France a la chance d’avoir une haute fonction publique compétente, non partisane et dévouée à la défense de l’intérêt général. Il s’agit d’une construction historique inestimable. Les hauts fonctionnaires ont agi comme leur statut et leur éthique le leur commandaient : ils ont appliqué les consignes du gouvernement dans le respect de l’intérêt général.
Le projet de loi sur la prévention des conflits d’intérêts chez les responsables politiques et les hauts fonctionnaires n’a pas été inscrit à l’agenda parlementaire. Pourquoi avoir abandonné un texte hautement symbolique ? Pourquoi ne pas avoir retenu la proposition de la commission Sauvé d’inscrire une définition du conflit d’intérêts dans la loi ?
Le projet de loi relatif à la déontologie et à la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique a été finalisé l’été dernier à la suite du rapport que j’avais demandé à la commission de réflexion présidée par le vice-président du Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé. Le calendrier législatif des derniers mois de la législature a été profondément bouleversé par la crise, puisque nous avons dû faire voter trois projets de lois de finances rectificatives en quelques mois. C’est ce qui explique que nous n’ayons pas pu inscrire le texte relatif à la déontologie à l’agenda parlementaire, mais il n’est absolument pas abandonné. En ce qui concerne la définition du “conflit d’intérêts”, les travaux préparatoires au projet ont montré que la définition de la “prise illégale d’intérêts” dans le code pénal suffisait.
En annonçant la fin du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux parmi les enseignants des écoles maternelles et élémentaires à partir de la rentrée 2013, n’avez-vous pas sonné le glas du “un sur deux” ?
Le nombre de fonctionnaires était en 2007 supérieur de plus d’un tiers à ce qu’il était en 1980. Grâce au non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux dans l’État, 160 000 postes de fonctionnaires auront été supprimés dans les effectifs de l’État depuis 2007. Ce sont ces mesures d’économies progressives mais essentielles qui permettent aujourd’hui à la France d’éviter les coupes bien plus drastiques auxquelles sont contraints nos partenaires européens. Elles doivent donc continuer. Cette politique n’a jamais été appliquée de manière uniforme entre les ministères, mais en fonction de leur potentiel d’économies : par exemple, les effectifs de la justice progressent chaque année depuis 2007. Nous allons donc continuer le “un sur deux”, à l’exception du primaire. Et nous l’étendrons aux grosses collectivités territoriales, qui ont tout à fait la capacité de faire le même effort que l’État. C’est un enjeu très important : depuis 2007, les collectivités territoriales ont créé 100 000 emplois, alors que l’État en supprimait 160 000.
Comment comptez-vous contraindre ou aider les collectivités à diminuer leurs effectifs ?
Il y a un grand consensus sur le fait que les collectivités locales doivent désormais s’engager dans un processus d’économies, sur leurs dépenses de personnel comme de fonctionnement, comme l’État l’a fait depuis 2007 : c’est ce qu’a rappelé le Premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, à l’occasion de la remise du dernier rapport de cette cour en janvier dernier ; c’est aussi ce que disait le rapport du groupe de travail sur la maîtrise des dépenses locales présidé par Gilles Carrez et Michel Thénault [respectivement député UMP et conseiller d’État, ndlr] ; ou encore ce qui découle du rapport indépendant sur la situation des finances publiques remis au premier trimestre 2010 par Paul Champsaur et Jean-Philippe Cotis [respectivement président de l’Autorité de la statistique publique et ancien directeur général de l’Insee, ndlr]. Et cet effort peut être appliqué avec mesure : je ne mets pas sur un pied d’égalité la petite collectivité de quelques milliers d’habitants et le gros conseil régional. Mon principe est simple : les grosses collectivités, qui représentent les deux tiers des dépenses locales, doivent faire le même effort que l’État ; elles ont la possibilité de se réorganiser, d’être plus économes de leurs moyens.
Pouvez-vous préciser votre proposition de moduler les dotations versées par l’État aux collectivités en fonction de leur vertu budgétaire ?
C’est une possibilité que j’ai mise sur la table lors du sommet sur les finances locales du mois de janvier, car il serait effectivement très sain d’inciter d’une manière ou d’une autre les collectivités à faire des économies, par exemple en modulant leurs dotations.
Vous proposez de revoir le statut des enseignants. Faut-il réformer le statut général de la fonction publique ?
Le statut de la fonction publique nous a-t-il empêché de réformer l’État, de faire des réformes sans cesse repoussées par mes prédécesseurs, d’augmenter l’âge légal de départ à la retraite, de supprimer des postes de fonctionnaires, de changer la politique salariale dans la fonction publique, de voter le service minimum dans les transports, de réformer les régimes spéciaux de retraite ? Non. Cela prouve bien que l’essentiel du sujet, c’est la volonté politique. En cinq ans, je n’ai jamais reculé, quelles que furent les pressions. C’est cela qui compte.
Êtes-vous favorable à une augmentation du nombre de fonctionnaires sous contrat en CDI ?
Nous avons investi des moyens considérables pour faire reculer la précarité dans la fonction publique et, globalement, réduire le nombre de fonctionnaires contractuels. Grâce à la loi du 12 mars dernier, qui fait suite au protocole d’accord signé le 31 mars 2011 par le gouvernement et 6 organisations syndicales (Unsa, CGT, FO, CFDT, CGC, CFTC), 100 000 agents contractuels pourraient voir leur contrat de plus de six ans requalifié en CDI, et 40 000 à 50 000 agents pourraient, s’ils le souhaitent, être titularisés dans la fonction publique. Nous n’allons donc pas parallèlement recruter davantage de fonctionnaires contractuels.
La réforme des services déconcentrés de l’État (Réate) a mis en lumière des écarts importants de rémunération entre fonctionnaires issus des différents ministères. Au-delà de l’injustice ressentie par les agents, ces différences empêchent leur mobilité d’une administration à l’autre. Comptez-vous vous attaquer à ce problème dans les cinq ans à venir ?
Depuis 2007, grâce aux économies permises par la RGPP et le non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux, nous avons investi 2,5 milliards d’euros pour améliorer la situation des fonctionnaires, en donnant la priorité à la convergence des rémunérations sur des postes de responsabilités équivalentes. Le principe est simple : à ancienneté, responsabilités et performances équivalentes, deux agents doivent être payés de la même manière quel que soit leur ministère d’appartenance. Je poursuivrai en ce sens.
Reviendrez-vous sur la politique de gel du point d’indice dans la fonction publique ?
Compte tenu de la stratégie de redressement des finances publiques, le point d’indice, que nous avions continué à augmenter au plus fort de la crise, a été gelé en 2011 et en 2012. Cela ne veut évidemment pas dire gel des rémunérations : grâce aux mesures d’accompagnement du non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux, depuis 2007, la rémunération des fonctionnaires a augmenté de 19 %, alors que l’inflation cumulée sur la période a été de l’ordre de 8 %, ce qui représente plus de 10 % de gain de pouvoir d’achat. Pour les prochaines années, l’effort de réduction de la masse salariale de l’État doit être poursuivi pour ramener les comptes publics à l’équilibre en 2016 : le niveau du point d’indice dépendra donc des marges de manœuvre budgétaires permises par la conjoncture économique et la montée en charge des économies sur le budget de l’État.
Propos recueillis par Bruno Botella et Laurent Fargues.
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