Le spectacle,
pédagogie de la « troisième dimension ».
« Ah, tu es avec Monsieur Houlle, alors tu vas faire du théâtre ! » s’était écrié un parent en début d’année.
Le spectacle compte-rendu.
Justement, cette année-là, un voyage en Touraine de trois jours devait nous mener de Bourgueil à Richelieu en passant par le Clos Lucé, Villandry, Saché et Chinon. C’est comme ça que naquit l’idée de monter un spectacle genre diaporama. Une autre année, avec nos élèves de cinquième, nous avions fait une « classe patrimoine » à l’abbaye de Fontevraud : un séjour d’une semaine qui nous avait permis de « radiographier » l’ensemble monumental, des égouts à la charpente. Au retour, il fallait trouver le moyen d’exploiter ce capital de découvertes accumulées au cours des nombreuses activités et aussi en rendre compte aux parents : évidemment, un spectacle s’imposait. Inévitable pour des collégiens fréquentant le collège « Jean Vilar » ! Nous nous attelâmes donc à la « Saga des Plantagenets ». Le spectacle devait être présenté pour la fin du trimestre. Nous avions à notre disposition la salle de spectacle du centre culturel attenant au collège et tout son équipement. Toute la classe fut d’accord pour mettre en œuvre le projet et ça n’était pas rien. Pas question évidemment de saborder les cours : tout ne pouvait pas être pris sur le temps scolaire. Il y eut donc, avec l’accord des parents, de nombreuses heures supplémentaires au collège, le soir après les cours pour travailler à la réalisation concrète. Il fallut mettre tous les talents de l’établissement à contribution. En effet, le projet comprenait trois parties qui s’enchaînaient : un diaporama sur la visite de l’abbaye et la partie Histoire des Plantagenêt, avec commentaire synchronisé enregistré par les élèves, un espace scénique théâtral où certaines scènes étaient jouées et un écran blanc (un vaste drap en lin provenant de l’héritage de ma grand-mère), pour les scènes restituées en ombres chinoises. Le collègue d’arts plastiques, François, s’occupait de la réalisation des décors et faisait des miracles sur des grandes toiles peintes qu’on enroulait, celui de l’atelier de métallurgie de la « Segpa » (Section d’enseignement général et professionnel adapté), associée au collège, me fabriqua un cadre métallique pour tendre le drap pour les ombres chinoises… Je précise que c’était du pur bénévolat. Il fallait réaliser une bande son globale du spectacle et la « conduite » qui allait avec. La classe fut répartie en « ateliers » et tous les élèves avaient une tâche qu’ils avaient en général choisie. Chacun comprit rapidement que le spectacle formait un puzzle dont chaque élément devait se trouver à sa place au bon moment. Le soir de la « générale », la salle était pleine : deux cents spectateurs, certes prêts à l’indulgence, mais curieux de ce qu’ils allaient découvrir, Principal en tête et tous les collègues, parents, amis ... Toutes les places avaient été vendues ainsi que les programmes fabriqués pour l’occasion. Il fallait bien alimenter la caisse de la coopérative qui avait pourvu à quelques menus frais.
Les spectateurs avaient devant eux, de gauche à droite : une batterie de deux projecteurs de diapositives face à un écran suffisamment grand, au centre un espace scénique avec un décor moyen-âgeux, et enfin un cadre muni d’un grand écran en tissu blanc (le drap) derrière lequel se cachait un rétroprojecteur sur lequel pouvaient être disposés des décors dessinés en noir et blanc sur un « transparent » à enroulement. Les branchements avaient nécessité la confection d’une boite spéciale, car les barrettes de prises n’existaient pas. Tout ce qu’ils allaient voir était le fruit du travail des élèves, y compris la bande son et le commentaire en voix « off ». Je précise que certaines séquences d’enregistrement eurent lieu chez moi, sur ma platine magnétophone personnelle pour obtenir la qualité du son et travailler dans le silence et la quiétude nécessaire. Je transportais le groupe d’élèves concerné et le ramenais ensuite… Le diaporama rencontra un vif succès, de même que la partie traitée en pièce de théâtre, mais ce qui remporta la palme, ce fut l’assassinat en ombre chinoise de l’évêque de Canterburry, agenouillé sur son prie-dieu, dans un décor gothique à souhait, sur fond musical de « Symphonie du nouveau monde » de Dvorak. Les moines se rendant à l’office, eux aussi en ombres chinoises, marchant sur place avec le décor déroulant qui donnait l’impression de leur progression, eut aussi sa part de succès. Tout s’enchaîna au millimètre. Les élèves étaient sur un nuage. Chacun avait rempli sa mission à la perfection.
Quel bonheur de prof peut supplanter le sentiment que l’on ressent alors, face au public, au milieu de ses élèves ! On ne regrette pas alors le temps supplémentaire, des heures qu’on ne compte même plus, passé bénévolement. Et pour les élèves, cela avait constitué déjà une approche des problèmes de la vraie vie, et la satisfaction de mener un projet collectif à son terme. C’est à ce moment-là qu’on perçoit le mieux cette « troisième dimension » de la pédagogie.
Et des spectacles, il y en eut bien d’autres.
Ils pouvaient être inspirés par des romans comme « les Chouans » de Balzac retraçant la « virée de Galerne », appuyé sur la lecture de l’oeuvre et un voyage à Fougères ; « Marcovaldo » d’Italo Calvino, dont chaque saynète fut théâtralisée ; par des thèmes plus larges comme « Héros de tous les temps et d’ailleurs », de Don Quichotte à Cyrano en passant par Robin des Bois et autres ; et évidemment par les pièces de théâtre de Molière : « l’Avare », « les Femmes savantes », « les Fourberies de Scapin », et forcément, le « Cyrano de Bergerac », d’Edmond Rostand. Toujours le même principe : toute la classe joue et les rôles sont répartis quitte à changer d’acteur à un changement d’acte. Coté costume, c’est incroyable comme un vieux blazer peut devenir un pourpoint seyant, avec quelques passementeries dorées cousues dessus ! Et chaque fois, la même ardeur, le défi relevé, la classe transfigurée. Dans les années « 80-90 » nous avons connu des années fastes à Jean Vilar. Le recrutement du collège était suffisamment varié -de la mixité sociale comme on dirait aujourd’hui- pour fournir des classes vivantes et stimulantes.
Un outil pédagogique extraordinaire.
Le spectacle, c’était devenu pour moi une dimension indispensable de la pédagogie. Certes, il faut payer de sa personne et ne pas compter son temps. Certes, on perd un peu de sa superbe quand on est surpris par le Principal, en pleine répétition des « Fourberies », en train de montrer à un élève comment il doit se rouler par terre en trépignant et gémissant « mais qu’allait-il donc faire sur cette galère !» … Mais la récompense est toujours au bout du chemin. Les élèves apprennent, font travailler leur mémoire, car s’il y a bien une situation où la mémorisation prend toute sa justification, c’est bien celle d’acteur. Et il n’y a pas d’échappatoire. Ils découvrent alors qu’elle n’a pas de limites (la mémoire). Je leur avais dit, en début d’année que même le « chaix » (annuaire des horaires SNCF) ou l’annuaire du téléphone pouvait s’apprendre par cœur, tout comme le dictionnaire Larousse. Aujourd’hui, je leur expliquerais que nous pourrions tous être des « Franck Ferrand », cet animateur-showman doté d’une mémoire extraordinaire, et connaître comme lui, entre autre, toutes les pièces de Corneille par cœur… Les élèves apprennent aussi à gérer leur stress, prennent conscience de leur personne. Il en est ressorti à chaque fois, à des degrés divers, une valorisation dont le comportement en classe et le travail scolaire ont été les premiers bénéficiaires.
Toutes les classes n’offrent pas, par leur composition, le potentiel pour mener à bien un spectacle. Il faut cette subtile alchimie entre un groupe d’élèves suffisamment cohérent, exempt de caractères retors ou perturbateurs, et une adhésion suffisante aux projets du prof. Cela n’arrive pas tous les ans. Aujourd’hui, avec les contraintes réglementaires, je ne suis pas certain qu’il serait aussi facile de monter de tels projets, tels que je les concevais à l’époque, sauf à jouer « Mission impossible » !
Quand je retrouve au fond d’un placard quelques reliques de ces moments-là, cassette audio ou diapos soigneusement alignées dans leur boite numérotée, l’émotion m’étreint et ce sont les bonheurs qui reviennent, pas les moments de stress ni la sueur dépensée.
Il faut dire, et je veux rendre hommage ici à deux collègues trop tôt disparues, qu’au collège Jean Vilar, on cultivait le théâtre comme outil pédagogique. L’une, Martine, s’était lancée la première avec une classe pour jouer le « Bourgeois gentilhomme » de Molière, ce qui déclencha mon envie de monter des spectacles. L’autre, Mireille, anima le « club théâtre » du collège dont elle était la cheville ouvrière, et produisait chaque année des spectacles quasi professionnels avec les élèves volontaires. Il y eut même des comédies musicales et j’ai encore en mémoire une présentation de « Starmania » avec des voix extraordinaires. Quand je pense que notre collège était un collège dit de « ZUP » classé en « ZEP »…