QUAND « SUPER BARNIER » EST AUX MANETTES !
02 juillet 2021
Le « Journal secret du Brexit » que Michel Barnier a livré sous le titre « La grande illusion » se lit comme une aventure passionnante vécue au jour le jour. Ce pavé de 500 pages, véritable chronique de négociations improbables avec des Anglais retords à souhait, est une expérience unique de quatre ans et demi, dans le décor des capitales européennes, avec comme acteurs tous les puissants de notre continent, et ses épisodes de noblesse mais aussi de petitesses et de fourberies, ses rebondissements et ses coups de bluff, sans oublier quelques moments intimes et réflexions personnelles qui en donnent toute la dimension humaine.
Michel Barnier s’y révèle comme un "grand monsieur".
Pour parvenir à éviter un « no deal » catastrophique, Celui que l’Union européenne a choisi pour mener la négociation, a fait preuve d’une endurance sans pareille. Il y est parvenu en réussissant d’abord à unir l’ensemble des Etats membres jusqu’au bout de l’ultime nuit, ce qui n’est pas un mince exploit, et à parer tous les coups tordus, les postures, les exigences, les tactiques parfois redoutables de nos « amis » britanniques, ce qui constitue en soi une véritable gageure. S’il l’a fait, c’est en tenant en permanence la règle de l’unanimité, véritable force sur laquelle la perfide Albion a buté à chaque instant, en respectant ses mandants, les peuples de l’Union et sans jamais confondre « le sentiment populaire et le populisme ». Ainsi, le respect de la parole de chacun et de la parole donnée sont au coeur de ce « roman » du Brexit où, de Gibraltar à la pêche, en passant par la « problématique » irlandaise, tant d’événements, de rencontres, d’échanges, que l’auteur nous fait vivre de l’intérieur. On n’en perd pas une miette. Michel Barnier traverse ces quatre années et demi comme un menhir, bénéficiant de la confiance des instances européennes, quels qu’en soient les responsables, de Juncker à Van des Leyen, en passant par Macron, Michel, Merkel, Tusk, Sassoli et côté anglais May, Johnson, Davis, Raab, Barclay, Gove … Il joue dans la cour des grands avec brio en sachant s’entourer de collaborateurs remarquables constituant une « task force » incontournable. Confiance est le maitre mot de la négociation, à tous les niveaux. Et le mérite d’avoir su la créer lui en revient !
Préserver l’Union européenne du Brexit.
Michel Barnier a mené ces négociations en connaissant parfaitement les tentations de peuples européens pour les quels le Brexit pouvait être un modèle ou un exemple. Quand le verdict tombe le 23 juin 2016 de l’autre côté de la Manche, nous savons, avec lui, qu’un tel vote reste possible dans d’autres pays de l’Union, dont le nôtre. Il a dû regarder en face nos colères et le fantasme de l’indépendance. S’il avait en tête de faire en sorte que l’Union et tout ce qu’elle implique d’avantages soit préservée, il s’était aussi donné comme objectif de parvenir à un accord avec le Royaume-Uni qui soit aussi fécond que possible dans un respect mutuel. Son credo est clair : « la grande illusion est de croire à la promesse d’une identité et d’une souveraineté solitaires plutôt que solidaires ». Il lui a fallu des nerfs d’acier et imposer un calme à toute épreuve, puisé dans l’unanimité des 27 pour affronter le royaume des « tabloïds » soutenant agressivement le « Leave », les mensonges de Nigel Farage qui ne donnait pas cher de l’Europe sans l’Angleterre, les fractures de la majorité d’un parti conservateur changeant de Premier ministre au milieu des négociations, passant de la ténacité de Theresa May aux foucades imprévisibles de Bojo. Sang froid et méthode ont fini par triompher. Il faut absolument lire ce livre pour comprendre dans le détail et en creux tout ce que l’Europe fait pour nous, pour nous protéger et comme marché unique, ce que les commentateurs de nos médias et nos politiques prompts à mettre sur le dos de l’Europe leurs propres insuffisances ignorent.
L’Histoire retiendra son rôle.
Le traité auquel les négociations ont abouti pourrait s’appeler « traité Barnier ». Il a joué un rôle majeur. On se demande qui a sa place aurait pu réussir. Elu local de Savoie, ministre de l’environnement, des affaires européennes, des affaires étrangères, de l’agriculture, commissaire européen, cette négociation fait de lui l’un des politiques français les plus capés, les plus gradés, en un mot les plus robustes. Il a un entregent considérable en Europe et dans le Monde et s’est trouvé l’égal des chefs d’Etat. « Patriote et européen » comme il aime se décrire, il a déclaré vouloir désormais œuvrer pour l’avenir de son pays. On le sait engagé pour sa terre, pour notre langue, pour les territoires et leurs particularismes, il souhaite voir notre immigration suspendue pendant cinq ans, il parie sur le courage du collectif pour relever les défis du relèvement de la France et se réinventer. « Là où il y a une volonté, il y a un chemin » aime-t-il affirmer. Et récemment, il a déclaré qu’il « serait au rendez-vous ».
On aurait bien tort de se priver d’un tel homme aussi talentueux.
La grande illusion, journal secret du Brexit, de Michel Barnier, Gallimard.
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