CAPTEUR DE COLERES, MAIS APRES ?
13 mars 2024
Le discours de Marseille.
Le lancement de la campagne du RN a eu lieu à Marseille, l’occasion pour Jordan Bardella de faire un discours fleuve de trois quart d’heures. Au moins, penserait-on, aura-t-il décliné un projet dense et construit. Nenni : trois quarts d’heure de slogans creux de dénonciation de Macron, de l’Europe, de Bruxelles, mais aucune réelle proposition. Celui qu’on désigne déjà comme la droite ultrabrite (autrefois on aurait dit « dents blanches ») et roi du selfie remplit parfaitement son rôle de « dédiabolisateur », mais sa réthorique reste creuse.
L’Europe de tous nos maux.
Une vieille rengaine consiste à dénoncer les travers technocratiques d’une institution dont les Français connaissent mal le fonctionnement. C’est vrai qu’à 27, le fonctionnement est forcément complexe, et que la répartition des pouvoirs entre le législatif, le Parlement, et les exécutifs qui comprennent le Conseil européen des chefs d’Etats et son bras armé la « commission européenne », ne sont pas complètement aboutis. De fait, les projets y avancent lentement, il faut du temps pour parvenir à l’unanimité indispensable à toute décision, mais l’Union a joué un rôle utile pour tous les pays plus souvent qu’on ne veut bien le reconnaître, pendant la crise du Covid et face à la guerre en Ukraine, par exemple. Mais le public est tellement peu informé sur ces réalités qu’il n’en perçoit pas souvent l’intérêt. Il faut dire que nos médias ne font guère d’efforts pour donner l’importance qu’elle mérite à la politique de l’Union européenne. Dans ces conditions, il est très facile de mettre sur le dos de l’Europe bien des maux qui sont pourtant bien hexagonaux, la France étant la reine de la « surtransposition » des directives. L’Europe bouc-émissaire est un sport facile à pratiquer et le RN y excelle.
Le RN, quelle Europe ?
Il y a encore peu, le RN envisageait logiquement de quitter l’Union : le Frexit. Mais vu le désastre que cela a été pour l’Angleterre et cette perspective n’étant absolument pas populaire, le parti a modifié son discours. Il prône une « alliance européenne des nations libres et souveraines » sans qu’on sache le contenu réel de ce concept qui est à l’opposé du principe de l’Union depuis 70 ans, qui repose sur des souverainetés partagées dont l’euro est le parfait exemple. L’Europe dont parle le RN est impossible à envisager puisqu’il faudrait l’accord des partenaires de la France pour défaire les traités en vigueur. Elle se limiterait à des « coopérations » à la carte et renoncerait à ce qui est le cœur de l’Union, à savoir le grand marché et l’absence de frontières intérieures. Quant à imaginer que la victoire de Marine Le Pen suffirait à fléchir les autres dirigeants, c’est pure fiction. La réalité c’est que la France se retrouverait isolée, condamnée à se plier, comme Méloni, ou à sortir.
L’immigration, cheval de bataille.
Voilà un sujet sur lequel le RN se vante de « victoires idéologiques ». On ne peut pas lui donner tort. La majorité actuelle et la droite a repris en partie son programme : expulsion des clandestins, mise sous conditions des aides sociales, … Mais on voit bien aussi les limites concrètes de l’application de ces mesures. Nos juridictions de recours, tribunaux et Conseil d’Etat, participent d’ailleurs à compliquer la tâches. Il y a en Europe une aspiration des peuples à un contrôle plus strict des immigrations et c’est au niveau de l’Union que le principal doit se jouer, sinon, nous nous perdrons dans des procédures constamment remises en cause ou inapplicables. Déjà les 27 ont avancé sur le sujet en durcissant les conditions d’entrée dans « Schengen » et en renforçant « Frontex ». Décisions que les élus RN n’ont pas votées. Encore faudrait-il que le vieillissement des populations ne constitue pas un « appel d’air » pour de la main d’oeuvre immigrée indispensable pour faire tourner nos économies. Là encore, les slogans sont plus faciles que la mise en place de politiques efficaces. Les électeurs qui croiraient aux mirages du RN seraient condamnés à une déconvenue, comme ceux de Méloni en Italie.
Economie, rien ne va plus.
En ce qui concerne l’économie, le RN reste sur une ligne démagogique irréaliste : revenir sur la réforme des retraites, baisse de la TVA, hausse des salaires de 10%, tout en appelant (récemment) à des économies. Verbalement ça tient, mais en cohérence, c’est impossible à mettre en œuvre. On ne fait pas d’économies en dépensant plus. Aussi, les propositions restent-elles souvent au niveau de l’affichage comme « assurer notre indépendance énergétique », ou « garantir aux agriculteurs des prix respectueux », sans expliquer comment on s’y prendra. Il manque au parti un appareil technique qui lui fait défaut depuis toujours. Marine Le Pen est seule et Jordan Bardella appartient au sérail. Le RN n’a aucun outil intellectuel qui lui permette d’atteindre la crédibilité. Il se contente de sa politique de communication pour sortir des vieilles lunes fachos du père, ce qui a permis de séduire les médias et une partie des Français, donc de monter dans les sondages et de gagner des élus, sans parvenir à s’implanter complètement. De fait, il attrape toutes les colères, mais l’assemblage des colères ne donne pas une direction. On le voit bien avec la guerre en Ukraine. D’avoir parié sur la Russie de Poutine s’avère aujourd’hui être un boulet que Marine Le Pen n’arrive pas à porter. La position qu’elle a développée dans son discours à l’Assemblée nationale est une pantalonnade.
Il faut à Bruxelles des élus qui comptent.
Le danger de l’avantage électoral cache un inconvénient majeur qui risque d’enfoncer la France dans une crise profonde : c’est l’incohérence idéologique alimentée par un jeu trouble jusqu’aux franges du socialisme avec un programme économique qui est un copié-collé de celui de Mélenchon, et qui enferme le RN dans une spirale du vide. Alors, à quoi bon envoyer des députés RN au Parlement européen où leur présence n’a aucun impact, et d’autant plus que les projections montrent que malgré la poussée des extrêmes-droites, les groupes PPE et Socialistes resteront largement dominants. Tout au plus ils auraient une minorité de blocage : la belle affaire ! Avec seulement 8 élus, Les Républicains ont compté beaucoup plus grâce à leur influence au sein du groupe PPE.
Est-ce bien le moment de paralyser l’Europe dans un monde où les empires voudraient imposer la loi du plus fort comme droit international.
Commentaires