PASSAGE OBLIGATOIRE, QU’ON LE VEUILLE OU NON !
15 janvier 2023
Commençons par deux vérités : d’abord, bosser moins et moins longtemps c’est un choix, mais c’est celui de l’appauvrissement ; ensuite nous allons vers toujours moins d’actifs et toujours plus de retraités. Une fois qu’on a dit ça, on comprend que l’équation du financement des retraites est simplissime.
Il ne fallait pas reculer l’âge de départ.
Depuis quarante ans nous sommes confrontés à cette évidence, surtout depuis que Mitterrand à décrété la retraite à 60 ans sans s’assurer du coût de cette décision démagogique et de son financement. Déjà Michel Rocard en avait fait le constat et soulignait que la conséquence inéluctable du vieillissement démographique pour le système de retraites par répartition serait un déficit grossissant qui pourrait le mettre en péril. Et depuis, tous les dix ans, les gouvernements de gauche comme de droite ont mis à l’ordre du jour une actualisation du financement en actionnant les trois paramètres dont on dispose : allongement de la durée de cotisation, recul de l’âge de départ et hausse des cotisations. Chemin faisant, ces leviers se sont amenuisés, notamment celui des cotisations qui ont atteint un seuil difficile à franchir : avec un taux de 28%, c’est déjà l’un des plus élevés d’Europe, face à un accroissement du nombre d’ayant droit, conséquence du « baby boom », une diminution du nombre des cotisants du fait de la baisse du taux de natalité (1,7 pour 1) et une durée de versement des pensions plus longue avec l’allongement de la durée de la vie (80 ans en moyenne).
L’ignorance surinformée.
Quand je découvre que 60% des Français sont contre la réforme proposée qui est pourtant déjà insuffisante au départ, je me frotte les yeux. Faut-il que l’argent magique du « quoi qu’il en coûte » les ait anesthésiés à ce point qu’ils ne voient pas l’évidence ? La France vieillit et ne fait plus assez d’enfants depuis longtemps, mais les Français ne veulent pas l’admettre. A leur décharge, tous les débats sur le financement qu’on leur propose sont d’une extrême confusion et l’argument principal « on vit plus longtemps, il faut travailler plus longtemps » fait l’objet de négations, de procrastinations, de querelles compliquées de chiffres, de courbes que nous livrent des experts et des économistes… toute cette flopée de demi-habiles prompts à encombrer les plateaux avec leurs arguties comme pendant la crise sanitaire. La conséquence, c’est la déconnection de nos concitoyens avec la réalité, ils préfèrent se cacher les yeux ou se boucher les oreilles.
La démographie oubliée.
C’est la grande absente de la réforme présentée par Elisabeth Borne. C’est un incroyable impensé. Pourtant la question démographique est centrale pour penser le système de retraite par répartition qui est fondé sur une solidarité intergénérationnelle qui se conjugue au présent immédiat. Car les cotisations d’aujourd’hui servent à payer les pensions d’aujourd’hui. Autrement dit, si l’on tient au système par répartition rappelons que les actifs paient les retraites de leurs parents parce qu’ils sont assurés que leurs enfants paieront pour eux. Encore faut-il qu’ils en aient ! C’est l’oubli de la démographie qui a mis notre système en danger ; la politique familiale avait été fragilisée ces dernières décennies, mais les coups les plus sévères ont été portés sous François Hollande et Emmanuel Macron. Si l’on veut garder notre système de retraite, il faut restaurer une politique familiale en tant que politique destinée à favoriser la natalité alors qu’elle est devenue une politique d’aide sociale destinée aux plus fragiles, à cause d’une vision progressiste qui ne sait pas voir autre chose qu’une société d’individus. De ce fait, la réforme proposée veut donner l’illusion d’agir sur le fond mais finalement n’achète qu’un peu de répit.
La démagogie et la surenchère syndicale et politicienne.
Dans le concours des lapins crétins qui s’opposent à la réforme, je ne sais qui remportera la palme entre les partisans de Mélenchon et ceux de Le Pen. La trajectoire financière montre en effet que le financement sera dans le rouge au cours des vingt cinq prochaines années, quelles que soient les conventions de calcul et hypothèses retenues. On peut affirmer avec précision que les déficits cumulés à partir de 2022 atteindront en 2050 entre 11% et 16% du PIB selon les scénarios, soit entre 700 et 1 000 milliards d’euros. Ne rien faire empêchera de payer des pensions décentes aux futurs retraités. Que Mélenchon et Le Pen disent clairement qu’ils font le choix de la pauvreté ! Déjà, ce que propose le gouvernement ne permettra de dégager que 14 à 16 milliards d’euros à l’horizon 2030, alors que les déficits prévus tournent autour de 20 milliards, sans compter les 30 milliards des pensions publiques à la charge de l’Etat. Non seulement les syndicats et les populistes jouent un jeu irresponsable, car il n’est pas possible qu’ils ne sachent pas la réalité, mais en empêchant un rétablissement pérenne de la trajectoire du financement, ils nous condamnent à revenir à la charge à nouveau dans moins de dix ans.
La mesure d’âge est fondamentale.
Le gouvernement ne peut agir que sur trois leviers : relever l’âge, augmenter les cotisations, baisser les pensions. Augmenter les cotisations n’est plus possible, on l’a vu ; baisser les pensions c’est déjà fait depuis dix ans avec le gel des augmentations ; reste le recul de l’âge de départ. Cette dernière mesure est la plus efficace et peut s’accompagner de l’allongement de la durée de cotisation. En travaillant tous collectivement un peu plus, les Français peuvent créer de la richesse pour financer leur système social. 65 ans aurait été la bonne décision qui permettait de sortir de la nasse par le haut, de réaliser les économies nécessaires à l’équilibre à l’horizon 2050, de faire baisser la pression des taux sur la dette française, de mettre la France au diapason des autres pays européens en matière d’âge de départ, tout en garantissant le niveau des pensions. Rappelons qu’à la suite de la réforme de 2010 sous Sarkozy, le taux d’emploi des seniors est passé de 39,7% à 56% aujourd’hui ; L’idée que relever l’âge de départ met plus de seniors au chômage est fallacieuse. Quant aux carrières longues le système de retraite anticipée est déjà en place.
Agir pour les jeunes génération, c’est faire en sorte que celles-ci aient confiance en l’avenir. Les ajustements paramétriques périodiques, qui génèrent tant d’oppositions, ne sont pas propices à créer ce climat. C’est pourquoi, il faudrait aller au-delà en instaurant un étage de retraite par capitalisation, tout en conservant le socle par répartition. De nombreux dispositifs vertueux sont possibles et d’ailleurs ils existent dans une partie de la fonction publique. Ce serait un bon moyen d’alléger le fardeau de l’Etat tout en garantissant des pensions pérennes avec un taux de remplacement acceptable. Cette approche permettrait d’améliorer le niveau de vie des futurs retraités, de réduire la dette publique et de responsabiliser les actifs par leurs investissements.
Avant les grèves et les journées de protestation, posez-vous la question : pourquoi une catégorie de Français aurait-elle le droit éternellement à des régimes spéciaux ? Serait-ce parce que ceux-là s’arrogent le droit de bloquer le pays ? …
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