DANIEL KRETINSKY, UN OLIGARQUE EN MACRONIE
18 août 2019
Présenté comme un des nouveaux « tycoons » des médias par le « Figaro économie », Daniel Kretinsky atterrit en France au printemps 2018. Le roi tchèque de l’énergie effectue alors une razzia dans la presse française avec l’acquisition des magazines de Lagardère et une large participation dans le Monde. Ce qui étonne, c’est que l’offensive n’a pas l’air d’émouvoir plus que ça ni le gouvernement, ni l’Elysée. Evidemment, il y a une explication.
D’abord les faits.
En quelques semaines, Kretinsly s’empare de Marianne et de la quasi-totalité des titres peoples de « Lagardère Active » : « Elle, Public, Ici Paris, Art & Décoration, Télé 7 Jours, France Dimanche, Version Fémina », pour 60 millions d’euros et rachète 49% des parts que le banquier Matthieu Pigasse détient dans la holding du Monde, ce qui n’est pas sans émouvoir la rédaction toujours jalouse de sa ligne éditoriale. Le Tchèque crée un nouveau groupe média de 250 millions d’euros, CMI France. A 44 ans, Daniel Kretinsky, cinquième fortune tchèque, a bâti sa fortune, estimée à 2,5 milliards d’euros dans l’énergie. Il contrôle, notamment avec son groupe EPH, depuis 2013, le gazoduc Eustream qui fournit à l’Europe du gaz russe via l’Ukraine et qui lui assure des revenus conséquents (6 milliards d’euros en 2017). C’est GDF-Suez principalement qui lui a vendu ses parts, pour investir dans le projet de gazoduc Nord Stream 2 en mer Baltique avec Gazprom… le géant russe. L’oligarque tchèque rachète aussi à prix cassés des centrales à gaz et au charbon, faisant le pari que la transition énergétique prendra du temps. Et à la fin 2018, après ses opérations dans les médias, il a commencé ses acquisitions : l’énergéticien EPH a racheté la filiale tricolore de l’allemand Uniper avec ses deux centrales à charbon (Saint-Avold et Gardanne), et deux centrales au gaz qu’il a prévu de revendre à Total pour compléter le dispositif que le pétrolier a désormais à sa disposition avec le rachat de Direct Energie. Et le magnat tchèque compte bien réaliser à cette occasion une belle plus-value. Comme dit l’autre, tout cela ne peut pas se faire sans l’Etat !
Deux poissons pilotes à la manœuvre.
Le premier à apparaitre dans le décor, c’est Denis Olivennes. Celui-ci avait reçu d’Emmanuel Macron, à l’été 2017, une mission sur l’audiovisuel public, qu’il voulait discrète. Les deux hommes se connaissent bien et l’ancien directeur du Nouvel Obs est sur la même ligne que le Président, qu’il a connu dans le think tank « En temps réel » créé par le banquier Stéphane Boujnah. Il connait bien d’autres piliers de la Macronie, tel Gilles Legendre qu’il a embauché en 2002 comme directeur de la communication de la FNAC dont il est alors Directeur général. Donc, en septembre 2017, Macron, pour le convaincre d’accepter la mission qu’il lui confie, lui a fait miroiter la tête de France Télévisions, ce qui tombe à pic pour le journaliste qui a été débarqué d’Europe 1 en avril. Mais il est trop bavard et le projet est abandonné. Au printemps 2018, c’est pourtant avec lui que Daniel Kretinsky négocie le rachat des titres de Lagardère et c’est encore lui qui le présente à Yves de Chaisemartin, PDG de Marianne au moment où il cherche à vendre sa participation majoritaire dans ce titre. Enfin, c’est encore Olivennes qui rencontre les conseillers du président pour expliquer les différents rachats du Tchèque dans la presse française. Et à l’automne il est encore à la manœuvre pour préparer la suite, l’opération « Le Monde ». Logiquement, en janvier 2019, il est nommé à la tête de la filiale française de CMI (Czech Media Invest), la holding presse de Daniel Kretinsky.
Le second, c’est Etienne Bertier. Cet ancien journaliste passé par L’Expansion, Libération et Le Point, a quitté la presse en 1993 pour des activités plus politiques, notamment derrière Alphandéry, avant d’atterrir à la CDC (tiens, encore elle, décidément, le monde est petit). Il y prend les rênes d’Icade, la filiale immobilière de la Caisse, ce qui lui vaut de nouer des liens avec un certain Gleeson, gendre du milliardaire rouge Doumeng, et ami d’Alexandre Djouhri. Début 2007, Bertier quitte Icade et devient consultant à Bruxelles dans le domaine de l’énergie. C’est là qu’il fait connaissance avec Kretinsky : ils ne se quitteront plus. Le Français est semble-t-il pour beaucoup dans l’ascension fulgurante du Tchèque. Bertier est d’autant plus utile qu’il a de solides relations dans la Macronie. On peut citer Dominique Marcel, patron d’une filiale de la CDC, la Compagnie des Alpes, et sa directrice générale n’est autre qu’Agnès Pannier-Runacher dont on sait qu’elle est devenue en octobre 2018 Secrétaire d’Etat auprès de Bruno Le Maire. Il peut s’appuyer également sur Augustin de Romanet, patron d’ADP. Bref, c’est Bertier qui négocie le rachat des parts de Matthieu Pigasse dans Le Monde. Les deux se disent en effet « amis de trente ans » et au coeur de cette amitié il y a « Icade »*! Sur les dossiers énergétiques, c’est Etienne Bertier qui rencontre régulièrement les conseillers économie et énergie de l’Elysée. Et dans le « big-bang » de l’énergie voulu par Macron, l’énergéticien tchèque semble avoir toute sa place. Voilà néanmoins un petit monde où l’on croise toujours les mêmes (cf. ci-dessous*) !
Un silence qui en dit long.
L’Elysée se tait sur l’arrivée pourtant on ne peut plus voyante de Daniel Kretinsky dans le paysage français. Le ministre de la Culture, Frank Riester a fait le service minimum devant l’émoi des journalistes et de la rédaction, suscité par l’arrivée de ce nouvel actionnaire au journal Le Monde : « la question d’un actionnariat étranger sur des grands titres français est une question importante ! » déclare-t-il sans aller plus loin. Peut-être qu’au « château » on n’est pas mécontent de cette nouvelle emprise sur un journal qui ne se prive pas de divulguer des informations déplaisantes comme dans l’affaire Benalla. On comprend pourquoi le soutien inconditionnel Xavier Niel ne semble pas apprécier l’arrivée de ce nouveau venu, qui, de plus, vient de racheter les parts (20%) que l’espagnol Prisa a dans Le Monde, et garde la possibilité d’acquérir à tout moment l’intégralité restante des parts de Matthieu Pigasse, ce qui serait une réelle prise de contrôle du quotidien. De son côté, Kretinsky joue l’apaisement, dénonce la campagne qui le présente comme un suppôt de Moscou, se présente comme un amoureux de la France et de sa langue qu’il parle parfaitement, et comme un europhile convaincu. Il justifie son investissement dans les médias qu’il considère comme une mission démocratique face à la montée des populismes. Un vrai macroniste quoi !
*Icade dont le CA de 2007 est composé d’Augustin de Romanet, Serge Grzybowski, Edmond Alphandéry, Dominique Marcel, Agnès Pannier-runacher, Thomas Francis Gleeson, Thierry Gaubert.
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