POUR EN FINIR AVEC LE PROTECTIONISME
17 octobre 2011
Une idée facile, portée par le contexte international, dont Arnaud Montebourg s’est fait le chantre après Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. C’est un mirage. Elle fait partie des fausses bonnes idées qui peuvent abuser le bon petit peuple peu au fait des mécanismes mondiaux et de l’économie, mais qui peuvent rapporter des voix.
L’histoire nous a pourtant appris où cela menait : au mieux au fascisme, au pire à la guerre, dans tous les cas à la récession, à la pauvreté et à la décadence. Mais qui connaît l’histoire aujourd’hui ?
Eviter de taper à côté du clou
L’Europe n’est pas plus ouverte que le reste du monde. Le taux moyen de protection de l'Europe est certes très faible (1,47 %), mais il est identique à celui des Etats-Unis (1,43 %) et du Japon (1,41 %). C’est moins que la Chine qui est à 2,1 %, le Brésil à 6 % et l'Inde à 8 %. Mais la solution c'est de négocier à l'OMC un accord international ! Sans accord, il n'y a qu'une alternative : la protection unilatérale. Or celle-ci générera mécaniquement des sanctions, car nous n’exporterons pas sans nous heurter à des mesures de rétorsions. De plus, il sera difficile de se protéger de nos partenaires européens sauf à revenir 60 ans en arrière, à sortir de l’Union : c’est un peu comme si on voulait récupérer nos œufs après avoir fait une omelette avec les autres. Nous faisons les trois quarts de nos échanges avec des pays développés qui partagent les mêmes modèles sociaux et environnementaux que nous. Or, la quasi-totalité des Etats européens sont hostiles au relèvement du tarif extérieur commun. Et notre principal concurrent c'est l'Allemagne, pas la Chine. Si nous voulons nous protéger, c'est face à cette dernière qu'il conviendrait de le faire, en sachant que notre déficit avec la Chine n'est que l'équivalent de la somme de notre déficit avec l'Allemagne et la Belgique ; et notre déficit cumulé avec l'ensemble de l'Europe est bien supérieur à celui que nous faisons avec la Chine. Se protéger du monde extérieur à l’Europe, c’est taper à côté du clou.
La protection environnementale et sociale est un leurre.
Les protectionnistes proposent de s’appuyer sur les normes environnementales et sociales pour ériger des barrières camouflées. Là encore, le raisonnement est séduisant : quoi de plus normal que d’exiger une taxe carbone sur un produit qui vient de loin, ou une taxe « sociale » pour rééquilibrer les niveaux de protection sociale. Mais sur la protection environnementale, qui est tout à fait légitime, il faut là encore rester prudent et éviter de céder à la facilité. Car, pour prendre des sanctions dans ce domaine, il faut se référer au contenu en carbone des produits. Or le contenu moyen en carbone des exportations européennes est supérieur à celui des exportations américaines, japonaises et chinoises ! On peut nier cette vérité, mais c'est pourtant la vérité. Nos exportations ont un fort contenu industriel, et il est normal qu'elles génèrent une intensité en carbone plus forte que les exportations chinoises, qui portent sur des produits à plus faible valeur ajoutée, ou sur les exportations américaines dominées par les services. Quant aux salaires, s’ils sont bien entendu plus faibles dans les pays pauvres que dans les pays riches, c’est que la productivité globale y est aussi beaucoup plus faible. Augmenter le coût du travail dans ces pays reviendrait à supprimer leurs avantages comparatifs et à les condamner à la pauvreté ! Et si les désordres des changes engendrés par les manipulations monétaires des Etats empêchent souvent les ajustements de coûts, le libre-échange n’est pas responsable.
L’industrie ne disparait pas. Elle se transforme et s’internationalise.
Derrière le film catastrophe de la désindustrialisation que la France aime se projeter, la baisse de nos effectifs industriels a deux causes essentielles : d’une part, l’externalisation des fonctions de service (gardiennage, nettoyage, cantine) autrefois comptabilisées dans les emplois industriels et passées aujourd’hui dans les services. Au lieu de vendre un bien, on vend de plus en plus un service. Les industriels se font commerçants. Les commerçants se font industriels. D’autre part, la hausse de la productivité dans l’industrie fait que moins d’emplois et moins d’argent sont nécessaires par unité produite. Et surtout, l’influence des délocalisations reste marginale : tous les rapports convergent pour montrer que les délocalisations sont globalement favorables à la croissance économique et à l’emploi. Demandons-nous plutôt pourquoi l’Allemagne est devenue le premier exportateur de biens de haute technologie devant les Etats-Unis, à partir des mêmes facteurs de production que la France (même monnaie et même coût du travail). La plupart des produits aujourd’hui sont le résultat d’assemblages extrêmement complexes à l’échelle de la planète et vouloir opposer des obstacles à cette prodigieuse division internationale du travail est puéril. Si on ferme nos frontières avec nos voisins, comment on fera avec notre Airbus dont les morceaux viennent d’Allemagne, d’Angleterre, d’Espagne…? La mondialisation et la mutation de nos économies vers la société de la connaissance ne font que renforcer cette interdépendance des activités économiques et financières. En fait, Nous faisons du libre-échange le bouc émissaire de nos désordres monétaires.
Le libre-échange est un jeu à somme positive, le gain de l’un n’est pas la perte de l’autre.
Prenons un exemple : on voit l’entreprise contrainte sous la pression de la concurrence de fermer ses portes ou de délocaliser. Mais on voit moins que le consommateur, en achetant par exemple une paire de chaussures importée 110 € au lieu de 200, a gagné un pouvoir d’achat supplémentaire de 90 €. Et l’on ne voit pas non plus derrière la perte du producteur national, le profit de cet autre producteur qui bénéficiera de ces 90 €. Ce que l’on voit encore moins, c’est que les 110€ touchés par le producteur étranger reviendront inéluctablement, directement ou indirectement, sous forme d’achat de bien ou de services dans notre économie au profit d’un autre producteur. Vouloir réserver le libre-échange à des pays comparables, serait dire que les riches devraient échanger entre eux, les plus pauvres pourraient leur acheter, mais surtout pas leur vendre.
Le problème vient de notre désindustrialisation.
Promouvoir le protectionnisme, c’est se tromper de combat de même que le procès du dumping fiscal, social ou écologique est un faux procès. Le fond de l'affaire est que la France souffre d'un processus de désindustrialisation. Mais celui-ci n'a rien à voir avec la mondialisation en tant que telle. Il découle fondamentalement de la faiblesse de notre tissu industriel, qui s'exprime à la fois par l'insuffisante innovation de nos petites et moyennes entreprises, elle-même liée à la faiblesse de leur taille. La vraie solution ce n'est donc pas la démondialisation, mais le renforcement stratégique de nos petites et moyennes entreprises. Cela ne permet pas forcément de gagner les élections. Mais cela fait nécessairement gagner le pays. Tous les discours protectionnistes et dirigistes ne changeront rien – fort heureusement – aux évolutions du monde. Mais ils peuvent assurément faire perdre des chances à notre pays, aggraver nos problèmes d’emploi et de pouvoir d’achat.
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