LA VICTOIRE DES TECHNOCRATES DE BERCY
06 septembre 2018
L’école avait ses « pédagogistes », Bercy a ses « inspecteurs des Finances », des technocrates fiscalistes les meilleurs du monde. On n’en doutera pas à voir leur capacité d’invention de taxes en tous genres et à constater tout ce qu’on paie. Enfin, ceux qui paient. En effet, en ce qui concerne l’impôt sur le revenu, seuls 43% des Français y sont assujettis. Mais leur capacité essentielle tient probablement dans leur faculté à obscurcir le discernement de nos politiques. Ainsi, les commentateurs avisés n’hésitent pas à affirmer que la décision prise par le Président de la République est d’abord une victoire de Bercy. Il est pourtant évident que c’est une mauvaise décision et qu’il en paiera à coup sûr le prix, le moment venu. Pour l’heure, il importait à Macron d’affirmer son autorité ébréchée par un été qui l’a sérieusement mise à mal. Sévèrement ! Il n’y a plus que 23% des Français qui lui soient favorables.
Pour la fiscaliste Virginie Pradel, présidente de l'Institut Vauban, le prélèvement à la source n'est concevable que si le système fiscal est simple - or celui de la France se caractérise par une extrême complexité. Mais rien ne fait peur à nos experts de Bercy. Ce sont parait-il des « dentelliers » de la fiscalité et ils sont capables de s’adapter aux situations les plus compliquées. Ainsi, pour un célibataire qui dispose seulement d'un salaire, sans recourir aux niches fiscales, le prélèvement à la source va lui simplifier la vie, mais pour un couple dont les montants sont très différents, la situation sera beaucoup plus complexe. Si madame perçoit un salaire nettement inférieur à celui de son mari, et qu'elle ne veut pas que son employeur ait connaissance du montant des revenus du foyer fiscal, elle pourra opter pour un taux non individualisé, c'est-à-dire ne prenant en compte que son salaire, à l'exclusion des revenus de son mari. Une telle option l'obligera à verser chaque mois un complément d'impôt sur le site internet de la DGFiP. Et cela tourne au casse-tête, notamment lorsque les modalités de recouvrement de l'impôt sont distinctes, selon le type de revenu : ainsi, l'impôt sur les honoraires ou les revenus locatifs continuera d'être versé directement par le contribuable, selon de nouvelles modalités, et non prélevé. Une usine à gaz !
On oppose aux détracteurs du prélèvement à la source que la quasi-totalité des pays européens ont opté pour ce mode de récupération de l’impôt. Mais en France, l'impôt est calculé au niveau de la famille, contrairement aux autres pays où l'impôt est individualisé et il existe généralement beaucoup moins de crédits et réductions d'impôt chez nos voisins européens. Avec un impôt aussi complexe que le nôtre, un tel prélèvement relève de la gageure. Il ne faudra pas s’étonner s’il y a des dysfonctionnements, malgré les assurances de M. Darmanin. Mais c’est lui qui en paiera la facture et pas les technocrates planqués dans leur bureau. Il ne faudra pas qu’il vienne se plaindre.
Et, de plus, ce n’est pas aux entreprises de prélever l'impôt pour l'Etat. Ce n'est pas leur rôle. D'autant qu'elles ont déjà à prélever plusieurs milliards de cotisations sociales et même d'impôts, comme la TVA et la CSG. La réforme risque de changer le climat des relations patron-salariés. Et elles n’ont pas besoin de cette surcharge de travail alors qu’elles luttent pour préserver un peu de compétitivité. Les Républicains par la voix d’Eric Woerth et de Christian Jacob ont proposé un système de mensualisation modernisé bien plus simple à mettre en œuvre et sans passer par les entreprises. Mais voilà, c'est « le vieux monde », on ne peut donc pas le prendre en considération.
D’ailleurs le gouvernement craint par-dessus tout le double effet psychologique et récessif de la mise en place du prélèvement fin janvier. D’autant plus que la croissance annoncée pour 2019 est plutôt morose. Aussi multiplie-t-il dans l’urgence les gestes notamment en faveur des contribuables qui pratiquent la « défiscalisation » pour qu’ils n’aient pas à avancer la totalité de leur dégrèvement d’impôt. C’est là qu’on s’aperçoit qu’avec nos technocrates, ce qui n’était pas possible hier, le devient aujourd’hui. Mais entre 200 et 300 euros de moins sur la fiche de paie, cela se ressent, et la consommation pourrait en pâtir. La communication de Bercy se veut résolument optimiste, mais elle fait volontairement l'impasse sur certains aspects négatifs pour le contribuable. L'opinion n’a pas conscience que pour obtenir le remboursement d'un surplus d'impôt prélevé, elle devra attendre plusieurs mois. Qu’il y ait des « bugs », c’est inévitable, mais ils ne concerneront plus les avis d'imposition, mais directement les prélèvements sur salaires... Ce qui change tout.
Le débat sur le prélèvement à la source ne doit pas occulter les dernières mauvaises nouvelles en provenance de l’INSEE : Le déficit et la dette publics de la France ont été révisés en raison du reclassement de SNCF Réseau comme administration publique et de la prise en compte du coût de la recapitalisation l’an dernier du groupe nucléaire Orano par l’Etat. Le déficit public à fin 2017 s’inscrit dorénavant à 2,7 % du produit intérieur brut, après 3,5 % fin 2016, soit 0,1 point de plus qu’annoncé précédemment pour ces deux années. La dette publique monte de son côté à 98,5 % du PIB fin 2017 après 98,2 % fin 2016, contre respectivement 96,8 % et 96,6 % auparavant.Ces révisions tombent à un mauvais moment pour le gouvernement, déjà contraint de revoir ses prévisions pour 2018 pour tenir compte du ralentissement de la croissance.
C’est pourquoi aussi Bruno Le Maire pousse les feux sur la nouvelle loi « Pacte » dont il attend qu’elle soutienne la croissance. Nous analyserons son contenu, mais encore faut-il qu’elle fasse le parcours législatif et ensuite que les décrets d’application sortent… Au mieux pour l’été 2019. En attendant, la France continuera d’aller dans le mur.
L’Elysée crée un poste de Directeur Général des Services, qui est confié à un ancien camarade de promotion à l’ENA de Macron ...
Donc résumons:
✅ Le Président de la République : énarque
✅ Le 1er Ministre : énarque
✅ Le Min de l’Économie : énarque
✅ Le Secrétaire Général de l’Élysée : énarque
✅ Le Directeur de cabinet : énarque
✅ Le nouveau DG des services de l’Élysée : énarque...
Bref, une caste.
Une preuve de plus que la France n’est pas gouvernée par des hommes politiques, qui décident et des hauts fonctionnaires qui exécutent, mais qu’elle est administrée par des technocrates.
Précisons qu’il faut des hauts fonctionnaires.
Ils sont utiles au bon fonctionnement de l’appareil d’état mais aux ordres des hommes politiques, chacun étant dans son rôle ...
Mais une telle consanguinité entre les hommes politiques et la haute fonction publique constitue le mal français en rongeant depuis des décennies notre pays.
Et sous Macron, il s’accentue et est porté à son paroxysme !!!
Jamais, en effet, la France n’aura autant été entre les mains d’énarques. Ce n’est pas la vision d’un nouveau monde mais d’un ancien monde, celui de l’échec ...
Rédigé par : Nano | 15 septembre 2018 à 06:01
Excellente analyse. Il faut donc supprimer l'ENA. Et peut-être réformer Sciences-Po tant ils sont infiltrés partout.
On devrait interdire aux énarques de faire de la politique. On oblige bien les élus à choisir leur mandat.
DH
Rédigé par : Daniel | 15 septembre 2018 à 13:57