LE RASSEMBLEMENT BRUN-ROUGE DE MARINE
03 novembre 2014
Cet article s’inscrit dans la suite des deux précédents sur la France Recomposée. Les Français de la « France périphérique », comme on l’a montré, ressentent un malaise qui les conduit à se méfier de plus en plus de la classe politique. Ce malaise se traduit par ce que les politologues appellent un "glissement à droite". Ce faisant, ils deviennent disponibles pour ceux qui tenteront l’OPA la plus séduisante en terme de réponses à leurs attentes et à leurs angoisses. Aujourd’hui, nous allons examiner en quoi la montée du FN et les tentatives de « dédiabolisation » menées par Marine Le Pen sont un vraie OPA sur les plus désemparés de ce peuple abandonné en rase campagne par la gauche et encore trop peu convoité par la droite républicaine.
Le « vote républicain » en panne.
C’est dans l’Oise, au début du printemps 2013, lors d’une législative partielle gagnée de justesse par l’UMP qu’est apparu le phénomène de façon explicite : près d’un électeur sur deux de la candidate PS éliminée au premier tour a choisi de voter pour le candidat du FN. Il y avait longtemps que le parti d’extrême-droite puisait dans le vivier sociologique de la gauche. Cela fait près de 20 ans qu’il est le premier parti ouvrier de France. Par la surreprésentation des catégories populaires, des jeunes et des chômeurs, le parti de Marine Le Pen a une structure électorale unique qui concurrence de plus en plus celle des partis de gauche. A la présidentielle de 2012, elle est même arrivée en deuxième position, juste derrière Hollande, auprès des fonctionnaires de catégorie C. La nouveauté de ce printemps 2013, qui ne s’est pas démentie depuis, est que des électeurs de gauche acceptent de voter pour un parti toujours classé à « l’extrême-droite ». Et de fait, un candidat FN se retrouvant en situation de duel au second tour progresse dans la même proportion selon qu’il se retrouve face à l’UMP ou face au PS, et même sensiblement plus quand il affronte la droite.
Le discours de la gauche dénonçant la « porosité » entre l’électorat de droite et celui du FN apparaît comme un pieu mensonge et n’est plus d’actualité, la discipline du vote « républicain » ne rencontrant pas plus d’écho à droite qu’à gauche.
La stratégie de Marine Le Pen est assez simple.
Elle sait lire les études d’opinion et voit bien avec quelles voix son parti peut se renforcer. L’opportunisme ne lui faisant pas peur, elle s’empare de thèmes et développe des propositions appartenant habituellement à la gauche, comme sa défense des services publics, sa dénonciation du capitalisme financier, sa faveur pour le retour à la retraite à 60 ans et aux quarante années de cotisations pour tous. Le « souverainisme », l’appel à la démondialisation, la dénonciation de la construction européenne flattent les anciens électeurs chevènementistes et mélenchoniens. Ce faisant, elle cible aujourd’hui ces « classes moyennes en voie de déclassement » de la « France périphérique » et devient ainsi, avec les dégâts de la politique hollandaise, la première bénéficiaire du pouvoir en place par la séduction qu’elle opère sur les déçus de la gauche. En même temps, elle fait le pari que ses électeurs venus de la droite sur des problématiques identitaires ne la quitteront plus.
Le FN n’a pas pour autant abandonné son discours sur l’immigration.
La parti frontiste prospère toujours sur l’incapacité chronique (on le voit à Calais) des politiques à traiter les causes profondes des problèmes d’intégration qui angoissent de plus en plus les Français. Si ces angoisses n’avaient pas été avant tout d’ordre identitaire, ceux-ci auraient très bien pu se tourner vers le Front de Gauche. L’ouverture de Mélenchon vers les immigrés les en a dissuadés. Et si Manuel Valls dégringole dans les sondages, c’est parce qu’il devait sa popularité à son langage de vérité sur l’immigration et l’intégration et à ses prises de position en faveur des principes républicains, en particulier la laïcité et à l’autorité et au courage politique qu’il incarnait. Une fois au pouvoir, il impose le port d’un matricule aux policiers, les régularisations bondissent ainsi que les naturalisations, l’intégration culturelle ne se fait plus qu’à la marge, et le pays s’enfonce dans le chômage. De quoi déchanter ! Un écart entre les paroles et les actes que les Français ne supportent plus.
La synthèse Lepenienne : c’est le rassemblement « brun-rouge ».
Les Français décident de plus en plus de jeter leur dévolu sur Marine Le Pen qui apparaît comme la première opposante à Hollande, -un comble quand on sait qu’elle a favorisé son élection-, pour qu’elle les débarrasse d’une classe politique devenue insensible à leurs angoisses : 87% des français estiment que celle-ci se préoccupe peu ou pas du tout de ce que pensent les gens comme eux (janvier 2014). En inventant le slogan "UMPS", Marine Le Pen amalgame ainsi l’ensemble des partis de gouvernements. Et de son côté elle emprunte à la gauche conservatrice ses idées (rouge) tout en conservant son socle nationaliste identitaire (brun, référence aux « chemises brunes »). Démarche facilitée par la dénonciation quasi pavlovienne de « lepéniste » quiconque ose aborder de face les questions d’immigration, d’intégration culturelle, de nation et d’identité. Le FN n’a même plus besoin de parler, il se contente de récupérer. La laïcité au fil du temps est devenue une jauge à l’aune du respect de laquelle les Français identifient et jugent ceux qui sont aptes à vivre selon leurs normes et ceux qui ne le sont pas, n’hésitant pas, on l’a vu, à déserter certains territoires. La décision de Vallaud-Belkacem concernant l’autorisation pour les femmes voilées d’encadrer les sorties scolaires, en est un bon exemple.
Les deux raisons de l’adhésion au FN.
L’adhésion au FN nécessite encore un certain courage de la part de ceux qui votent pour ses candidats, car c’est le parti le plus détesté de France. Mais ils l'assument. Si ce n’est pas la crainte qui les motive, ce ne peut être que la colère et ça change tout. Cette colère est motivée par la montée des incivilités, les voitures brûlées dont les médias évitent de parler, la recrudescence des vols, les agressions physiques dont le dernier avatar est déguisé en père Noël, les bandes organisées, les communautarismes agressifs et exigeants qui vont avec l’islamisation des quartiers et maintenant l’implantation de djihadistes, l’insécurité croissante qui accompagne… Bref, une colère contre le laisser-aller général qui va augmentant. Toute chose que l’on pourrait évidemment résoudre avec un peu de courage politique.
Un autre raison vient s’ajouter à la colère et est habilement exploitée par Marine Le Pen : c’est la peur, voire l’angoisse de nos compatriotes qui sont taraudés par la perspective des vraies réformes et cherchent à s’épargner la peine de faire ce qui est indispensable pour que notre pays entre dans la sphère vertueuse de ceux qui ont fait des efforts, comme l’Allemagne ou l’Espagne, en mettant en œuvre des réformes structurelles. La retraite à 65 ou 67 ans, un soutien puissant aux entreprises par l’offre, la réduction des déficits publics… Le FN est devenu l’ultime moyen de refuser le réel, le dernier refuge avant la « souffrance ». Voilà pourquoi il prétend réinventer le Franc, promet un cocon national bien douillet contre la mondialisation et les « gnomes de Bruxelles », s’engage à protéger les petits contre les gros, le peuple contre les élites, les paysans et les ouvriers contre le plombier polonais (un mythe) ou l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Un programme économique protectionniste et anti-européen quasi identique à celui du Front de gauche. Mais il est facile de démontrer, exemples à l’appui, la faiblesse d’une telle démarche au regard de l’imbrication de notre économie dans celle de nos partenaires quand ce n’est pas à l’échelle mondiale, quoi qu’on en dise.
La montée du FN n’est pas une fatalité.
Il reste que les Français n’adhèrent pas majoritairement au programme entier du FN : 60% se déclarent hostiles à toute sortie de l’Union européenne, 59% se déclarent attachés à la monnaie unique (avril 2014). Aussi, est-il urgent de combattre cette double idéologie mortifère pour la France. Aujourd’hui le FN est plus dangereux, électoralement parlant, que la gauche. Voilà des éléments à prendre en compte qui rendent caduques tous les appels au « centre » si ceux-ci doivent traduire une volonté de bannissement du sujet de l’identité nationale.
Demain : Sarkozy, la parade à Le Pen.
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