"EUROPA" : L’ANTIDOTE AU VENIN MORTEL DU PROTECTIONNISME
05 novembre 2014
La dernière élection au Parlement européen en témoigne, les Français n’aiment plus l’Europe. C’est grave ! D’abord parce que la désaffection s’est soldée par une abstention massive avec une conséquence quasi logique d’avoir amplifié le score du Front national qui a su capter 25% des voix exprimées. Ensuite parce que le mal est bien plus profond qu’il n’y parait. Au-delà des sempiternels reproches qui sont faits aux « eurocrates » de Bruxelles et de la lâcheté de la classe politique nationale qui s’est trop souvent défaussée sur l’Europe pour s’exonérer de leurs propres décisions, une majorité de Français ne voit plus d’avenir dans la construction européenne devenue illisible et incompréhensible. Passons sur l’ingratitude qui nous fait oublier tout ce que nous devons à l’Union comme progrès et confort de vie, même si la période récente n’a pas été florissante. Il ne faudrait pas que l’arbre cache la forêt. Mais passons ! Et pourtant, qui ne voit que c’est notre destin qui se joue, ce que la France pèsera demain en Europe et dans le monde : qui peut croire que seule, isolée, avec ses quelques 60 millions d’habitants elle sera encore souveraine et en capacité d’imposer sa volonté ?
C’est parce que le Front National a envoyé ¼ des députés qui représentent la France au Parlement de Strasbourg, où ils votent contre tout pour tenter vainement de bloquer un peu plus la machine, distiller le venin mortel du protectionnisme, accentuer un peu plus la tentation du repli sur soi, que j’ai envie de réagir. Le livre de Valéry Giscard D’Estaing tombe à pic.
L’ancien président de la République porte un regard inquiet sur la situation de la France et de l’Europe. Lui qui a eu l’occasion, quand il était jeune député, de voter la ratification du traité de Rome créant la CEE (Communauté Economique Européenne), juge un demi-siècle plus tard que la construction européenne s’est dévoyée. Elle doit retrouver l’esprit des grands fondateurs qu’ont été Robert Schuman et Jean Monnet pour avancer à nouveau. Son livre est une tentative, heureuse à mes yeux, pour reprendre cette longue marche vers une Europe unie. Il propose dans son livre « Europa, la dernière chance de l’Europe » des solutions pragmatiques, réalisables et surtout facilement compréhensibles pour le commun des mortels. Ces propositions qui, si elles étaient appliquées, pourraient redonner confiance dans une Europe enfin à nouveau en marche et créatrice de croissance et de progrès pour les peuples qui la composent.
Préfacé par Helmut Schmidt, ce qui n’est pas un hasard, le Chancelier ayant entretenu avec VGE une amitié et une complicité quasi uniques entre nos deux pays, et ayant à leur palmarès nombres d’avancées de la construction européenne, de la création du conseil européen à l’élection au suffrage universel du Parlement de Strasbourg, le livre « Europa » est avant tout un traité pédagogique en même temps qu’un manuel d’histoire. Il comprend deux parties. La première, elle-même divisée en deux, « la Ligne droite » et « le mouvement circulaire », retrace les évolutions de l’Europe de 1974 à nos jours, avec les temps forts que constituent la mise en place de la monnaie unique, l’échec de la ratification de la constitution et l’élargissement sans approfondissement, pour se terminer sur un constat : l’Etat présent de l’Europe.
L’ancien président croit toujours en l’Europe qu’il a contribué à façonner, mais il n’hésite pas, en expert, à dénoncer ses blocages, son impuissance quand ce n’est pas son délabrement. Il nous invite à réagir en dépassant une double imposture : celle qui consiste à nous faire croire qu’on peut sauver la France en sabordant l’Union européenne, et celle qui prétend qu’on peut sauver l’Europe sans rien y changer. L’Europe n’est pas responsable de notre chômage de masse, de nos déficits, de nos conservatismes, de notre incapacité à faire des réformes courageuses. Il ne faut pas croire ceux qui font de Bruxelles le bouc émissaire des nations qui n’ont pas le courage de se réformer et de se dépasser.
Le chemin qu’il propose pour relancer l’Europe ne vaudrait rien s’il n’y avait pas en lui la conviction profonde, que nous pouvons partager, que l’Europe n’est pas seulement un édifice institutionnel mais une culture partagée, une association entre des nations millénaires et brillantes, c’est-à-dire une civilisation que nous devrions nous faire un devoir de défendre face aux nouveaux empires. Ce chemin était compliqué et difficile, l’Europe d’hier n’était pas plus facile à conduire que celle d’aujourd’hui, bien que le nombre des partenaires ait été plus réduit, mais les bâtisseurs dont il a fait partie étaient déterminés à avancer et la France et l’Allemagne savaient unir leurs efforts pour être le moteur des avancées nécessaires.
Le dessein qui anime Valéry Giscard d’Estaing est le même : comment faire pour que la France compte demain dans le monde, qu’elle reste une grande nation souveraine ? La réponse à la question passe par la construction européenne qu’il faut reprendre en se donnant un objectif : créer une fédération d’Etats-nations qui laisserait aux états membres de très nombreuses compétences. Europa, c’est une Europe-noyau constituée des partenaires qui le souhaiteraient au sein de la zone euro, et qui accepteraient une démarche commune de convergence permettant progressivement d’aller vers l’union monétaire, budgétaire et fiscale, et qui serait au final dotée d’un Trésor public et d’un mécanisme de solidarité financière, gouvernée par un Directoire doté d’une légitimité parlementaire. En fin connaisseur, il illustre la faisabilité concrète des étapes successives pour y parvenir. Ce n’est pas un rêve, ce pourrait être la réalité en moins de quinze ans.
Une ambition qui se fonde aussi sur la nécessité de cette construction que nous avons progressivement perdue de vue. Et l’urgence est là. Ce défi, s’il n’était pas relevé, à cause de la tentation du renoncement ou du repli, nous jetterait dans la défaite et le déclin parce que nous ne participerions pas à cette nouvelle étape de la mondialisation qui change les équilibres du monde. Europa est un cri d’espoir et nous rappelle que l’Union Européenne est la fille des nations qui la composent. Elle sera forte si notre pays est fort. C’est aussi un appel à retrousser les manches pour redresser notre pays, étape primordiale si l’on veut relancer l’Europe.
Lucidité, clarté, vision lucide du cap… l’intelligence toujours fascinante de Giscard est à l’œuvre.
Sans Europa, dans vingt ou trente ans, avertissent VGE et H. Schmidt, l’Europe et chacun des pays qui la composent ne compteront plus sur la scène mondiale.
« Ce projet d’Europa vous appartient. Pour le mener à bien, il vous faudra abandonner beaucoup de vos pensées négatives. L’égoïsme individuel, la peur du changement, et croire dans l’espoir de bâtir une des grandes civilisations du XXIème siècle » concluent-ils !
A lire absolument, pour croire un peu, à nouveau, dans l’avenir.
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