UKRAINE : LE CHOIX CORNELIEN
20 février 2014
Une guerre civile à la frontière de l’Europe est en train de se développer en Ukraine, entre le gouvernement pro-russe, ses partisans et ses forces de répression et la partie du peuple qui veut un rapprochement avec l’Union européenne. Les événements dramatiques auxquels nous assistons depuis quelques jours et qui s’aggravent d’heure en heure, sont pour elle un véritable casse-tête. On ne peut tout de même pas laisser un peuple se faire massacrer à notre porte, mais en même temps, il n’est pas non plus question d’un nouvel élargissement. Intervenir, oui, mais comment et surtout pour proposer quoi ?
Le président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, avait annoncé une trêve mais les violences ont repris de plus belle au coeur de Kiev où l’on compte des morts dans les deux camps chaque jour. La diplomatie européenne est pourtant très active. Elle risque cependant d’être prise de vitesse dans un contexte où les positions du pouvoir et de l’opposition se radicalisent.
Les « révoltés » accusent M. Ianoukovitch de s’être livré à une « provocation » quand il a délibérément violé une trêve dont il avait pris l’initiative. Cependant, des tirs ont tué des policiers, ce qui indique que les manifestants sont passés à la vitesse supérieure et espèrent créer un désordre tel que le gouvernement n’aura plus d’autre choix que d’organiser de nouvelles élections. Les actes de violence commis par les protestataires de tout bord qui occupent la place de l’Indépendance représentent une arme à double tranchant : d’une part, ils soulignent la détermination de l’opposition qui n’entend pas se soumettre à la force ; d’autre part, ils apportent un argument au pouvoir et à Vladimir Poutine, qui ne cesse de dénoncer l’ingérence des Européens et n’a pas hésité, il y a quelques jours, à parler de « coup d’État ». Car évidemment, rien ne se décidera en Ukraine sans l’accord du Kremlin.
La crise est aussi un piège pour Poutine.
La stratégie du président russe a toutefois ses limites : au moment précis où il espère recueillir des lauriers pour l’organisation des Jeux olympiques d’hiver à Sotchi, son crédit est fortement entamé, pour ne pas dire annihilé, par une crise qui se poursuit aux portes de la Russie dans un climat où lui-même et ses valets ukrainiens apparaissent comme des tyrans incorrigibles. D’une certaine manière, la menace de guerre civile augmente les chances de la diplomatie européenne, surtout si elle sait ménager Poutine, qu’on sait d’une susceptibilité extrême. En même temps, les trois mois d’émeutes ukrainiennes, qui ne sont pas cantonnées à Kiev, ont galvanisé l’opposition face à un régime que l’entêtement peut conduire à l’irréparable. Le résultat définira l’avenir de ce pays aux portes de l’Union européenne.
Une réunion des ministres français, allemand et polonais avec le président Ianoukovitch a été annulée, puis confirmée. Les envoyés européens n’ont pas caché à M. Ianoukovitch que les vingt-huit membres de l’UE (qui devaient se réunir un peu plus tard à Bruxelles), adopteraient des sanctions économiques contre l’Ukraine, qui se trouve déjà dans une situation économique dramatique. Pour les européens, le gouvernement ukrainien n’a pas d’autre choix que de procéder à des élections générales. Il reste à convaincre Wladimir Poutine de s’y résoudre.
Le président russe aurait tort de croire qu’il peut faire à l’Ukraine ce que la Russie a fait à la Tchétchénie. Les crises tchétchène et ukrainienne ne sont pas comparables. Il y avait un danger islamiste à Grozny dont Moscou s’est servi (à deux reprises) pour mater l’insurrection. Il n’y en a pas à Kiev et la crise ukrainienne se déroule sous les yeux du monde entier. Pour étouffer la voix de la contestation, le maitre du Kremlin devrait interdire l’accès du pays à tous les organes de presse, envoyer les chars russes et rééditer le coup de la Hongrie (1956) en asservissant le peuple ukrainien après un bain de sang. Ce n’est pas une perspective en phase avec la gloire olympique de Sotchi ni en accord avec les temps actuels. Il serait mis immédiatement au ban des nations avec un discrédit immense.
Seule l’Europe peut dénouer la crise.
Le rôle de la diplomatie européenne est donc essentiel, mais très délicat. Elle doit faire valoir les conséquences tragiques d’une répression seulement destinée à remplacer le glacis soviétique par la soumission à Moscou des pays anciens membres de l’URSS. En même temps, elle doit rassurer M. Poutine sur ses intentions : pour le moment, il ne s’agit pas d’englober l’Ukraine dans l’Union européenne ou dans l’OTAN. Le problème, avec le président russe, c’est qu’il voit la Russie comme un pays cerné de toutes parts par des démocraties parlementaires et qu’il lutte contre ce qu’il perçoit comme un isolement en essayant de maintenir l’influence russe dans l’immense zone autrefois occupée par l’Union soviétique. Il contrôle la Tchétchénie, il a soumis et démantelé la Géorgie, il ne laissera pas l’Ukraine, qui a une frontière avec la Pologne, tomber dans l’escarcelle de l’Occident.
Il sera très difficile d’empêcher une guerre civile sauf si on trouve le moyen de lui parler. Comme le dit Bruno Lemaire, Il faut maintenant passer à des décisions fortes. Il faut de la fermeté de la part de l'Union européenne et qu'elle s'inscrive dans la durée. Le déplacement des ministres français, allemand et polonais ne doit pas s'arrêter en Ukraine, mais se poursuivre jusqu'à Moscou où le gouvernement russe à un rôle important à jouer dans ce sujet grave.
Nicolas Sarkozy avait trouvé ce moyen pour arrêter la guerre en Géorgie. Qui aujourd’hui aura assez de force de conviction et de talent pour lui faire entendre raison. Fabius ? sûrement pas. Angela Merkel, probablement… Rien n’est moins certain.
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