GRANDES AMBITIONS ET (TOUT) PETIT BRAQUET !
29 août 2013
Il faut toujours remettre au lendemain ce qu’on n’a pas envie de faire le jour-même. C’est la belle démonstration que le sombre Ayrault nous a faite, entouré de ses petites mains Touraine, Lebranchu et Sapin. On mesure en effet le décalage entre les déclarations ronflantes débitées sur ce ton ennuyeux qui lui colle au discours comme le sparadrap sur le capitaine Haddock, et la réalité de dispositions qui ne touchent à rien d’essentiel.
C’est un « Munich » des retraites tant le gouvernement s’est appliqué à baisser son pantalon devant les exigences des syndicats.
Les dispositions adoptées par le gouvernement présentent deux caractéristiques : le simulacre de concertation qui camoufle la vitesse à laquelle l’affaire a été menée et l’absence de réforme profonde.
Voilà un nouveau rafistolage qui s’appuie essentiellement sur les acquis des réformes Sarkozy de 2010 et Fillon de 2003 confortées par la même occasion, alors que la gauche avait promis de revenir dessus. Le reniement, c’est permanent.
C’est surtout une occasion manquée de faire enfin le ménage dans un dispositif usé jusqu’à la corde, illisible et au bout du rouleau. A son habitude, le gouvernement procrastine à merveille : les efforts sont reportés à 2020, autrement dit à perpète. Bien malin qui peut dire ce qui se passera d’ici là. En fait rien n’est réglé.
Tout a été fait pour désarmer les syndicats qui, pourtant, en dehors de la CFDT (et pour cause, c’est elle qui a tenu la main du premier ministre), expriment leur mécontentement et confirment leurs manifestations du 10 septembre prochain. Surtout, rien n’a été fait pour l’équilibre des comptes à long terme. Mais cette stratégie politicosociale, qui ne fâche vraiment personne sauf le patronat, se fait au détriment d’une vraie et profonde réforme des retraites. Avec des risques pour les actuels et futurs retraités et pour la crédibilité de la France dans sa capacité à conduire des réformes structurelles.
Il n’y a pas de réforme.
Il ne s’agit pas d’une réforme, mais d’une sorte de rapiéçage comptable, destiné surtout à calmer le jeu social, et qui entérine toutes les injustices contenues dans le système : les régimes spéciaux ne seront pas alignés sur le régime général, les fonctionnaires continueront de bénéficier de leurs privilèges (financés par le secteur privé), la retraite des cadres, elle aussi menacée par un déficit qui, si les choses restent en l’état, porterait à 21 milliards le total des sommes à trouver, n’est même pas évoquée. Si c’est la justice !!!
On ne peut que s’interroger sur la portée réelle du plan annoncé mardi. D’abord, les régimes complémentaires de retraite qui relèvent des partenaires sociaux ont des déficits prévisibles encore à combler, de 4 à 6 milliards d’euros. Les 8,7 milliards d’euros de déficit des régimes de fonctionnaires équilibrés par subventions sont et continueront d’être financés par le budget de l’Etat. Comment ? Sans doute par de futurs nouveaux prélèvements ou des coupes à venir dans d’autres dépenses publiques. Les cotisations vieillesse augmenteront de 0,15 % en 2014, puis de 0,05 % pendant les trois années suivantes, soit un total de 0,30 % en 2017 ; la hausse des cotisations vieillesse rapportera 4,4 milliards d’euros sur les 7,3 qui manqueront à l’appel dans quatre ans. On ne sait pas d’où viendront les trois milliards de recettes en moins qui décrédibilisent les comptes établis par le gouvernement. Quoi qu’il en soit, ces recettes prévues par le plan correspondent simplement au déficit du régime privé de base et régimes assimilés. La somme paraît importante, mais elle n’est que le quart du produit de la réforme de 2010. Ensuite, d’ici à 2020, tout sera financé par des hausses d’impôts ou de cotisations. Aucune mesure complémentaire portant sur les fondamentaux des régimes de retraite, âge de départ et/ou durée de cotisation, n’est prévue. Bien au contraire, de nouvelles dépenses sont décidées, pour preuve triomphante du souci social de l’État, comme le compte pénibilité qui va être mis en place en 2015, dont l’effet immédiat sera d’alourdir le besoin de financement, mesures qui servent de paravent pour vanter une réforme « juste ».
Les entreprises sont particulièrement touchées, sans que les engagements pour une réforme du financement de la protection sociale soient précisés, au-delà de 2014. Dans ces conditions, où est passée la priorité reconnue à la compétitivité des entreprises ?
Une occasion manquée.
Au-delà de 2020, le gouvernement a décidé de prolonger la loi Fillon sur l’allongement de la durée de cotisation qui passerait de 41 années ¾ en 2020 à 43 ans en 2035. En 15 ans ! La vérité est que la seule mesure vraiment efficace, déjà prise en 2010 et qu’il faut poursuivre pour réduire les déficits des régimes de retraite, est le report de l’âge de départ, dont on se demande pourquoi il est à priori écarté par le gouvernement jusqu’à 2040, alors qu’il est mis en œuvre par la plupart des autres gouvernements européens. Rappelons que dans la réforme de 2010, la mesure de report de l’âge à 62 ans, outre qu’elle a brisé le tabou des 60 ans, rapporte 22 milliards d’euros par année en 2020, soit presque trois fois le montant des prélèvements décidés mardi. Pourquoi ne pas avoir porté l’âge de départ en retraite à 63 ans en 2020 et à 65 ans en 2025 ?
Qui peut croire que les régimes de retraite seront sauvés grâce aux placebos prescrits par le gouvernement. Il s’agissait seulement de gagner du temps et de reporter les échéances financières à 2020. Après moi, le déluge !
Où est passée la réflexion sur une réforme systémique, par la mise en œuvre d’un régime unifié de retraite par points ? La loi de 2010 avait expressément prévu que le débat serait mené en 2013. Il est tombé dans les oubliettes. Plus modestement, il n’y a pas de nouvel effort de rapprochement entre les régimes privés et publics.
Au-delà des mesures « sociales » prévues, la vraie justice consisterait à consolider réellement les régimes de retraites et à harmoniser les situations du public et du privé. Non seulement le gouvernement présente un projet totalement dépourvu de vision et d’avenir, mais il perd une occasion sans doute unique d’attacher une réforme historique au mandat du pingouin. Seule la gauche pouvait conduire une telle réforme, elle seule pouvait l’imposer aux syndicats. Évidemment, si le but de l’action politique est que le gouvernement ne doit pas avoir d’ennuis, l’absence de courage de nos dirigeants ne surprendra personne.
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