“Hollande a un train de retard !”
08 mars 2012
Interview donnée à « Acteurs publics ».
Dans un entretien à Acteurs publics, François Sauvadet, le ministre de la Fonction publique répond à l’accusation portée par le candidat socialiste d’une politisation de la haute fonction publique depuis 2007. Il annonce que les écarts de primes entre fonctionnaires dans les services déconcentrés seront peu à peu éliminés dans les cinq ans à venir.
Dans l’entretien qu’il nous a accordé, François Hollande dénonce la politisation de la haute fonction publique sous Nicolas Sarkozy. Que lui répondez-vous ?
Cela relève de la désinformation. La réforme constitutionnelle voulue par Nicolas Sarkozy a apporté des garanties nouvelles en termes d’impartialité, notamment en renforçant le pouvoir de contrôle du Parlement. Je regrette que les socialistes aient voté contre ces dispositions. C’est également le président de la République qui a souhaité que la présidence de la commission des finances de l’Assemblée nationale revienne à l’opposition et, pour la première fois de la Ve République, il a nommé un parlementaire de l’opposition, Didier Migaud, à la tête de la Cour des comptes.
Vous n’êtes donc pas favorable à un spoil system [nomination de hauts fonctionnaires proches du pouvoir en place] à la française…
Non, la France peut se féliciter de disposer d’une haute administration compétente et loyale. Je suis choqué par les propos de François Hollande, qui rappelle les pires heures du Parti socialiste avec le congrès de Valence en 1981, au cours duquel les socialistes avaient clamé “il faut que les têtes tombent”. Ces propos sont d’autant plus inadmissibles que le même François Hollande, recevant récemment 300 hauts fonctionnaires, les félicita de leur présence par ces mots : “Vous avez raison, des postes, il y en aura”. C’est une curieuse conception de la République que d’écarter de grands serviteurs de l’État à chaque changement de majorité. Je suis surpris qu’il n’y ait pas davantage de républicains à gauche pour s’en émouvoir.
Le candidat socialiste appelle de ses vœux une haute fonction publique plus représentative de la diversité de la société française. Êtes-vous d’accord ?
François Hollande a un train de retard quand il évoque la diversité et la parité. Avec l’inscription dans le texte de loi que je viens de défendre devant le Parlement d’un objectif de 40 % de femmes nommées aux plus hauts postes à l’horizon 2018, la France est désormais en avance sur les autres pays européens. C’est un arbitrage qui a été pris au plus haut niveau par le président de la République lui-même. C’est le seul moyen de promouvoir réellement les carrières des femmes fonctionnaires. Nous avons par ailleurs créé 26 classes préparatoires intégrées aux écoles de service public pour les jeunes des milieux défavorisés. L’un d’eux a d’ailleurs intégré l’ENA cette année.
François Hollande se prononce en faveur d’une gestion des ressources humaines plus interministérielle…
J’invite François Hollande à me rencontrer d’urgence ! L’interministérialité existe. La mobilité des agents entre ministères, mais aussi entre fonctions publiques, a été encouragée et facilitée par la loi du 3 août 2009. L’architecture statutaire a été simplifiée, avec des centaines de fusions de corps. Nous avons également créé des corps interministériels pour les attachés d’administration (Cigem) et prochainement pour les infirmières. Nous déployons, pour mettre un terme au maquis des 1 800 primes et régimes indemnitaires différents, un dispositif indemnitaire interministériel unifié avec la prime de fonctions et de résultats (PFR). Nous avons mis en place des directions départementales interministérielles qui ont mis fin à l’éparpillement des anciens services ministériels dans les départements.
François Hollande souligne que le statut de la fonction publique “protège d’abord les citoyens”. Qu’en pensez-vous ?
Je remarque surtout que le candidat socialiste annonce qu’il ne touchera pas au statut de la fonction publique. Quelle drôle de vision de l’avenir d’avoir le regard dans le rétroviseur ! Il confond le statut et le statu quo. Considérer que l’on va pouvoir gérer la fonction publique comme il y a quarante ou cinquante ans est un non-sens. On ne peut pas fixer comme seul cap à nos fonctionnaires d’évoluer dans leur carrière comme dans un tunnel uniquement en fonction de l’ancienneté. Les agents attendent qu’on prenne en compte leur mérite, leurs aspirations, pour bénéficier de parcours professionnels plus attractifs.
Les écarts de rémunérations entre ministères constituent tout de même un sérieux obstacle au passage de fonctionnaires d’une administration à l’autre et compliquent la réorganisation des services régionaux et départementaux de l’État…
La réorganisation des services déconcentrés de l’État (Reate) a en effet mis en lumière des différences de situations parfois importantes entre les agents selon leurs ministères ou corps d’origine. Je me suis saisi de cette question en proposant une harmonisation par le haut des avantages sociaux (cantines, crèches, Cesu, chèques-vacances, etc.). Une avancée qui a abouti, fin 2011, au vote à l’unanimité du budget du comité interministériel à l’action sociale présidé par la CFDT.
Et s’agissant des salaires ?
Les écarts de primes notamment entre des fonctionnaires qui assument les mêmes missions dans les mêmes bureaux sont incompréhensibles. Le gouvernement a pris l’engagement d’aligner les rémunérations dans les quatre à cinq ans à venir. Cela représente un effort budgétaire, mais c’est une nécessité et cela s’inscrit dans notre volonté d’équité et de justice vis-à-vis des fonctionnaires. Depuis cinq ans, nous avons conduit un vaste chantier de rénovation des grilles indiciaires (nouvel espace statutaire pour les agents de catégorie B, nouveaux grades à accès fonctionnel pour les cadres de la fonction publique). Le salaire des professeurs débutants a augmenté de 18 % depuis 2007 et nous avons aligné, le 1er janvier, le minimum de traitement de la fonction publique sur le Smic.
Les fonctionnaires de l’État ont profité du reversement de la moitié des économies réalisées grâce aux suppressions de postes. Quels sont les derniers chiffres ?
Quelque 160 000 départs à la retraite n’ont pas été remplacés depuis 2007 et la moitié des économies réalisées ont été reversées aux agents de l’État sous forme de primes et des augmentations que je viens d’évoquer, soit une enveloppe de près de 2 milliards d’euros depuis 2008. Cela a permis une augmentation du pouvoir d’achat des fonctionnaires de près de 10 % hors inflation. C’était un engagement du président de la République et il a été tenu. De ce point de vue, la Révision générale des politiques publiques (RGPP) a été une démarche “gagnant-gagnant” pour les fonctionnaires et les comptes publics. J’observe d’ailleurs que François Hollande ne compte revenir sur aucune des grandes réformes de la RGPP : création de Pôle emploi, fusion des services des impôts et des trésoreries, réorganisation de la carte judiciaire et de la carte militaire.
Nicolas Sarkozy a annoncé la fin du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux pour les enseignants des écoles maternelles et primaires. Est-ce la fin du “un sur deux” ?
Non, la règle du “un sur deux” est maintenue, au moins jusqu’à la fin 2013. Contrairement à ce que le PS prétend, elle n’a jamais été appliquée de manière aveugle et brutale. Elle n’a pas touché les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. Les ministères de la Justice et de l’Enseignement supérieur ont été préservés. Toutes les administrations n’ont pas été placées sous la même toise. Vouloir aujourd’hui embaucher 65 000 fonctionnaires, c’est faire semblant d’ignorer la situation dans laquelle nous nous trouvons. Qui en Europe s’autorise une telle politique ? Le choix que nous avons fait, c’est d’agir sur les départs en retraite là où d’autres licencient leurs fonctionnaires.
Combien de postes représente l’arrêt du “un sur deux” dans l’enseignement primaire ?
Le non-remplacement des départs en retraite dans les écoles primaires et maternelles concernera encore 5 700 postes à la rentrée de septembre 2012. L’annonce de Nicolas Sarkozy vaut pour la rentrée 2013, ce qui devrait représenter plus de 5 000 postes.
Les autres ministères risquent de s’engouffrer dans la brèche. Le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique d’État pourra-t-il être poursuivi après 2013 ?
En 2013, il faudra faire le point et engager une réflexion sur ce que doit être le périmètre d’un État moderne et ce qu’on doit en attendre. Le nombre de départs en retraite va diminuer à partir de 2014, ce qui va à la fois réduire les effets budgétaires du “un sur deux” et limiter les recrutements des ministères si l’on s’en tient à remplacer les départs en retraite. Cela étant, il y a encore trop de postes en doublon entre les services de l’État et les collectivités.
Après les ministères, ce sera donc au tour des collectivités d’appliquer le “un sur deux” ?
Entre 1998 et 2009, les collectivités territoriales ont créé 540 000 postes de fonctionnaires, dont seulement 130 000 s’expliquent par des transferts de personnels venus de l’État ! Les élus locaux ne pourront pas s’exonérer d’un effort sur leurs effectifs. Ils doivent examiner l’efficacité de leurs dépenses et prendre toute leur part à la réduction des déficits publics. Je suis surpris des positions protestataires des grandes associations d’élus, telles l’ARF et l’ADF. Dans la période que nous traversons, ce n’est pas responsable. Les administrations françaises, qu’elles soient nationales ou locales, doivent s’unir pour ramener les finances publiques à l’équilibre.
Le 29 janvier, le président de la République a évoqué l’idée de moduler les enveloppes versées par l’État aux collectivités locales en fonction de leur vertu budgétaire. Qu’en pensez-vous ?
Le gel des dotations, déjà effectif, conduira immanquablement les collectivités à s’interroger sur leurs dépenses de fonctionnement et à trouver des gains de productivité. Sans quoi, elles seront contraintes de réduire leurs investissements, ce qui serait dommageable pour l’économie française. Je suis optimiste sur la capacité des élus locaux à contribuer au désendettement de la France. Si tel n’était pas le cas, il faudrait prendre des mesures plus contraignantes.
Propos recueillis par Laurent Fargues
Commentaires