LES DELIRES DE MARINE LE PEN
19 janvier 2012
Marine Le Pen est-elle comme le clame Jean-Luc Mélenchon, « cette demi-démente qui fait des propositions auxquelles personne ne peut croire » ? Son programme est un fourre-tout peu crédible, promettant à la fois beaucoup de dépenses et le désendettement du pays grâce au protectionnisme, aux économies sur l'Europe et l'immigration, avec le retour au franc comme passage obligé du redressement.
C’est pourquoi la semaine dernière elle s’est évertuée pendant plus de deux heures à présenter un chiffrage pour lui donner de la consistance, aidée par ses deux conseillers, Jean-Richard Sulzer et Thibault de la Tocnaye, à coups de démonstrations techniques et d’empilement de chiffres. Un exercice qui cède évidemment à la traditionnelle minoration des dépenses et à la surestimation des recettes. Un chiffrage qui est fait surtout pour abuser les gogos auxquels elle s’adresse et qui n’y comprennent rien. La stratégie consiste à faire croire au « sérieux » des propositions et démontrer que la sortie de l’euro peut se faire sans dégâts, que le repli de l’hexagone sur lui-même sera profitable aux humbles qui s’apprêtent à voter pour elle.
Plus de 100 milliards de dépenses supplémentaires par an...
Au chapitre des hausses de dépenses à horizon 2017, les secteurs régaliens sont en force (+8,5 milliards d'euros pour la justice, 1,2 md pour la sécurité), mais aussi
Comme en 2007, le FN promet 200 euros net de hausse de tous les salaires inférieurs à 1,4 fois le Smic (environ 1.500 euros net par mois), en faisant prendre en charge par l'Etat une partie des charges salariales. Elle serait financée par une « contribution sociale sur l'importation », taxe de 3 % « sur l'ensemble des biens et services importés chaque année ». Soit 74 milliards d'euros sur cinq ans, dont 58 milliards consacrés à cette mesure. Interrogée sur l'inflation qu'entraînerait cette taxe, elle s'est contentée de réfuter toute hausse des prix. C’est un mélange de dirigisme et de nationalisme. Le rendement de la taxe est forcément incertain et l’affirmation qu’il n’y aura pas d’inflation reste un pari. Autre promesse, un « salaire parental » pour élever ses enfants, soit un « revenu équivalant à 80% du Smic pendant 3 ans à partir du 2e enfant ». Ce qui fait 64,6 milliards pour l’augmentation du pouvoir d'achat.
La leader du parti d'extrême droite a aussi annoncé sur le quinquennat, « en euros constants », des hausses de budget : pour la justice (+ 8,5 milliards d'euros dont près de 7 pour 50.000 places de prison supplémentaires), la sécurité (elle compte gagner sur ce poste 6,4 milliards grâce à la baisse de la délinquance), la santé (+ 15,3 milliards, sans donner de précisions sur le financement de la protection sociale). Il faudrait ajouter la défense (14 milliards), la recherche (32 mds), la famille (32,4 mds) et le financement des promesses sur le logement impossible à chiffrer, ne connaissant ni le montant du chèque 1er logement, ni le crédit d’impôt. On arrive allègrement à plus de 100 milliards de dépenses supplémentaires par an.
et des recettes ... fictives pour la plupart, ou aléatoires.
Côté économies et recettes, toujours à horizon 2017, Marine Le Pen mise sans surprise sur l'immigration : en supprimant l'aide médicale d'Etat (AME, réservée aux étrangers sans ressources), et les allocations familiales, en expulsant systématiquement tout clandestin et en réservant les emplois aux Français, les économies attendues approchent 41 milliards . Les "coûts" de l'immigration sont souvent sujets à caution, des économistes estimant au contraire que les étrangers ont un apport positif sur l'économie. Mais surtout, ces chiffres sont très largement surestimés. Ils sont fondés sur une croyance mythique du « gouffre financier des étrangers en France ». A titre d’exemple le coût de l’AME n’est que de 800 millions.
La lutte contre les fraudes sociales et fiscales devrait rapporter 67,2 mds ce qui est quasi impossible, quand on connait la complexité et l’inertie économique qui y préside.
La clé de voûte du projet reste la sortie de l'euro, puis le retour au franc et la possibilité de monétiser une partie de la dette, c'est-à-dire de fabriquer de la monnaie à hauteur de 100 mds d'euros par an. On comprend la nécessité devant le choix de la fuite en avant de dépenses démagogiques déconnectées des réalités économiques. C’est ainsi que le FN veut ramener à zéro la contribution de la France au budget de l'UE (11,7 mds) et promet 74 mds grâce à une taxe de 3% sur les importations aux frontières nationales. Ce modèle permettrait, selon le FN, d'atteindre l'équilibre budgétaire en 2018 et de résorber 50% du "capital-dette" à horizon 2025. Pure hypothèse, surtout quand Marine Le Pen balaie tout risque d'inflation malgré la mise en route de la « planche à billets ». La réalité c’est que nous aurons une monnaie dévaluée et des petits épargnants ruinés. De même qu'elle a rejeté tout risque de rétorsions économiques d'autres pays en réponse au protectionnisme français, ce qui serait surprenant.
Une sous-estimation des effets du protectionnisme.
Le retour au franc, la baisse de la contribution de la France au budget de l'Union européenne, l'arrêt de sa participation aux plans de sauvetage de l'euro, la mise en place de « frontières économiques » - qui vont de pair avec une renégociation des traités européens et une « déconstruction de l'Europe », représenteraient un gain de 160 milliards sur le quinquennat (une autre fiction). Quant à la faisabilité des mesures, notamment par rapport aux traités européens qu'il faudrait renégocier dans une Europe à 27, tout repose sur les capacités de négociation de la France. « Nous renégocierons les contraintes mortelles qui sont le fondement de l'Europe de Bruxelles, et si nous ne pouvons les renégocier, nous (les) dénoncerons ».
Selon Le FN, la sortie de l'euro déprécierait le franc de seulement 9,4 %, quand elle est estimée par les économistes autour de 30 à 40 %. Aucune conséquence non plus sur la croissance, que le FN prévoit à 0 % en 2012 mais progressant jusqu'à 2,8 % en 2017. Pour « Les Echos », l'Institut Montaigne avait, lui, estimé, avec une dévaluation de 20 % de la nouvelle monnaie, que la dette passerait mécaniquement de 82 à 103 points de PIB. Il chiffrait aussi à dix ans la destruction de 6 à 19 points de la richesse nationale et la destruction de plus de 1 million d'emplois (« Les Echos » du 13 décembre). « Une sorte de big bang », a estimé hier à l'AFP Eric Heyer, économiste à l'OFCE, pour qui la sortie de l'euro, « dont on ignore ce qu'elle coûterait, à la centaine de milliards près », amène à « changer de logiciel ».
Le programme de Marine Le Pen est pour le moins un saut dans l’inconnu avec à la clé une catastrophe économique. Car c’est ignorer qu’en dix ans, avec l’euro, les économies européennes de « l’euroland » se sont imbriquées finement dans les partenariat d’entreprises, les échanges commerciaux, et même dans la structure internationale des productions, comme Airbus, mais pas seulement…. Bref, du délire !
Nous sommes au bord du précipice, et elle nous propose de faire un grand pas en avant .
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