LE BREXIT DANS LE SMOG (brouillard londonien)
20 février 2018
Je t’aime, moi non plus : drôles de négociations …
Le Royaume-Uni n’en finit pas d’atermoyer face à une Union européenne intraitable : on ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre. Theresa May danse d’un pied sur l’autre, ballottée entre les partisans du soft et ceux du hard, Boris Johnson en tête. Les conservateurs sont très divisés. Mais Michel Barnier, le négociateur en chef pour l’Union, vient de le répéter, la transition de 21 mois souhaitée pour amortir le choc de la rupture n’est aucunement acquise car les points de blocage s’accumulent. Ce qui fait tousser outre-Manche ce sont les obligations auxquelles Londres devra continuer de se soumettre pendant la transition, tout en perdant son droit de vote dans les institutions, une fois le « Brexit » proclamé, le 29 mars 2019. Ce qui fâche aussi c’est la volonté des Européens qui exigent que le respect des mécanismes de mise en œuvre de la séparation se fasse sous le contrôle de la Cour de Justice de l’Union européenne et les Anglais y voient une ingérence… Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg des désaccords.
Un poison lent.
En attendant, les impacts du Brexit sont de plus en plus visibles pour les grands bretons. Il agit comme un poison lent, surtout sur la City de Londres. L’incertitude sur la conclusion de l’accord avec le continent pèse lourdement sur le climat des affaires dans plusieurs domaines. Les agents immobiliers, les banques, les universitaires, les industriels sont de plus en plus inquiets. L’immobilier baisse à Londres, plombé par le départ de salariés de la haute finance ; la Livre chute et a déjà perdu 13% par rapport à l’euro depuis le referendum, d’où un renchérissement automatique des biens importés ; l’inflation s’envole, boostée par l’agroalimentaire et atteint les 3%, ce qui pénalise la consommation des ménages dont le porte-monnaie se trouve doublement impacté et du coup l’économie patine ; la finance commence à mesurer ses pertes : 10 000 jobs pourraient être perdus et jusqu’à 75 000 à plus longue échéance en cas d’absence d’accord sur les services financiers car presque tous les fleurons de la city ont manifesté leur intention de déplacer une partie de leur personnel ; déjà deux puissantes agences font leurs bagages : l’Autorité bancaire européenne a choisi Paris et l’Agence européenne du médicament ira à Amsterdam, soit près de 1 000 emplois déplacés sans parler de la perte que constituent les visites des 36 000 experts chaque année ; les constructeurs automobiles japonais menacent de partir car leur production commence à chuter, ce qui met 170 000 emplois sur la sellette… De quoi alimenter le pessimisme comme on voit. Conséquence, 65 000 britanniques ont demandé à devenir irlandais en un an. Plus anecdotique, Toblerone a augmenté l’espace entre ses triangles de chocolat pour ne pas augmenter sa barre, ce qui a provoqué un grand émoi : voilà, en effet, un signe tangible d’appauvrissement !
Le camp des « No Brexit » gagne du terrain.
Cette ambiance favorise les partisans d’un nouveau referendum pour annuler le Brexit qui reprennent du poil de la bête. Nick Clegg, ancien vice-premier ministre libéral de David Cameron, en est persuadé, le Brexit n’aura pas lieu. Il veut tout mettre en œuvre pour interrompre un processus qu’il juge « masochiste ». Il vient de publier un livre « how to stop Brexit » et compte sur un vote au parlement rejetant l’accord sur lequel Downing Street travaille, de quoi conduire à un nouveau referendum dont il est persuadé qu’il inverserait la décision. Il pense qu’il peut très bien ne pas y avoir d’accord du tout : l’échec des négociations serait la mort du Brexit aussi. Il espère que l’écart entre l’utopie de la séparation et la réalité qui s’élargit chaque jour, ce que les britanniques peuvent mesurer facilement, conduira à une évolution des partis politiques, notamment au sein du Labour. Car il en est persuadé, aucun accord n’épargnera un recul considérable de l’économie britannique.
En attendant, les Brexiters conservateurs voudraient pousser Theresa May dehors, jugée trop molle, et la remplacer par Jacob Rees-Mogg, le chef des europhobes. Une manœuvre qui a coup sûr ferait imploser le parti Tory, divisé entre la poignée de partisans du « soft » comme le ministre des finances, Philip Hammond, la centaines de radicaux europhobes et le ventre mou des anciens partisans du maintien, ralliés de mauvaise grâce à la volonté du peuple. Le seul résultat de ces luttes intestines, pour l’instant, c’est la paralysie du gouvernement May. Celle-ci veut gagner du temps, car elle sait qu’il travaille pour elle, en remobilisant un peu plus chaque jour les modérés de son parti comme Anna Soubry.
Rien n’est joué.
En attendant, le bon peuple godon subit et patauge dans le smog quant à son avenir. Et il y a des fadas en France qui prônent le « Frexit » !
Commentaires