UN FN PASSE-MURAILLE ?
22 septembre 2016
Ravalement de façade.
Finie la flamme tricolore surmontant les initiales « FN ». Finis les slogans nationalistes racoleurs du type « La France aux Français ». L’extrême-droite la joue désormais « soft ». C’est tout juste si à Fréjus on fait de la politique : des « Estivales » au début de l’automne, des affiches vantant la « France apaisée » avec la photo d’une Marine tout miel… qui la mettrait « à feu et à sang » si elle était élue. Je sais que la mode est à la « disruption », mais là, l’état-major lepéniste pousse le bouchon un peu loin. D’ailleurs on va même jusqu’à reprendre l’argumentaire gaulliste de l’élection présidentielle qui est la rencontre d’un(e) candidat(e) avec le peuple, jusqu’au slogan emprunté au Général : « Au nom du peuple ». Les anciens penseront inévitablement au « Rassemblement du Peuple Français ». Gonflé ! Car c’est faire avaler à nombre de militants viscéralement antigaullistes une couleuvre grosse comme le bras de Teddy Riner. Mais ne chausse pas les godillots du Père De Gaulle qui veut. Ambitieuse la minette (enfin, plus tout-à-fait), mais à ce jeu-là elle risque de faire perdre leurs repères à un bon nombre de ses militants.
Le pipeau pour charmer.
Entre une gauche suicidaire et une droite en primaire, la période est bénie pour Marine Le Pen qui, elle au moins, n’a pas à faire le ménage pour exister, tout ce qui s’oppose ayant été viré. Facile! Elle peut donc jouer de son pipeau pour continuer à dédiaboliser le parti que son père s’était acharné à positionner comme le pourfendeur du jeu institutionnel. Mais voilà, fifille prétend entrer dans le jeu. Alors comme le loup qui veut entrer dans la bergerie, elle se déguise en mouton. Elle nous habille le FN en costume « passe-muraille ». La stratégie de Marine Le Pen est à la fois claire et efficace : elle veut ajouter à sa part de marché électoral, que les sondages situent légèrement au-dessous de 30%, la respectabilité que lui contestent encore des partis plus ancrés dans la population, même si le FN se taille, à la faveur des rendez-vous électoraux, des positions qui se renforcent, encore qu’il faille relativiser des scores obtenus avec des taux d’abstention records qui amplifient mécaniquement ses résultats.
Tentative d’OPA sur la droite.
L’affaiblissement sensible de la gauche n’a pas donné à la droite républicaine l’essor qu’elle pouvait en attendre, parce que les transferts ont surtout profité au FN. La porosité avec l’extrême droite se fait davantage avec l’électorat de Mélenchon qu’avec celui de la droite classique. Nicolas Sarkozy a peut-être raison de tenir fermement un discours identitaire, mais son pari de faire revenir des électeurs dans son giron est largement limité par le fait que le gonflement du FN est d’abord dû à un déport de l’extrême gauche. Il n’empêche, cela fait des années que le Front national perturbe le jeu droite-gauche. Il a commencé à le faire en 2002 quand Jean-Marie Le Pen s’est retrouvé au second tour de l’élection présidentielle, plongeant le pays dans la stupeur. Aujourd’hui, la crainte s’est transformée en certitude : Marine Le Pen a toutes les chances de se qualifier pour le second tour, et, pis encore, pourrait arriver en tête de tous les candidats du premier tour. Après avoir siphonné ses voix dans le petit peuple de gauche, elle tente le même coup sur la droite, en comptant profiter du contexte. Elle oblige la droite comme la gauche à limiter la dispersion de leurs voix en organisant des primaires qui visent surtout à limiter le nombre des candidats.
Elargir en gardant le même fonds de commerce.
La stratégie du FN est donc simple : capitaliser un maximum de voix dès le 1er tour, car son problème c’est le second. Sans allié, la barre des 50% est quasi inaccessible, même avec plus de 30% des suffrages. C’est pourquoi elle s’est imposé une cure de silence pour faciliter le nouveau positionnement qui se voudrait plus recentré. Elle a bien compris que dans le contexte actuel, elle n’a plus besoin de faire campagne. La place est trop occupée par la primaire de la droite et les soubresauts de l’agonie du quinquennat, et elle serait inaudible. Au cours du week-end écoulé, elle a donc réuni ses troupes à Fréjus, façon d’entretenir la flamme, et elle leur a tenu les propos cinglants qu’elles attendaient d’elle, sur l’Europe, l’immigration et les autres partis. Un républicain authentique ne sera jamais convaincu par son argumentation. Pourtant, elle sait que sa seule chance, c’est de sortir du cadre un peu étroit où la confine l’extrémisme et Dieu sait qu’elle a multiplié les efforts, jusqu’à entrer en conflit avec son père, pour normaliser son parti en quelque sorte et tenter de lui donner une réputation comparable à celle des autres formations politiques. Ses propos de tribune ont été peu repris, ils permettent néanmoins de constater que derrière la façade ripolinée en rose (en bleu Marine, devrais-je dire), la réalité du programme frontiste est toujours la même. Dans ses interviewes elle essaie cependant de vendre une image plus modérée notamment par rapport à l’Islam.
Mais à l’intérieur, c’est le même magasin.
C’est là que l’exercice trouve ses limites. Il lui faut en effet garder à ses côtés ceux qui s’estiment assez trahis par la politique pour avoir choisi l’extrême droite, et elle doit en même temps conserver la forte identité nationaliste et populiste qui a fait le succès du Front. C’est d’ailleurs pour des raisons de ce genre qu’elle a conservé dans son programme la sortie de la France de la zone euro. À peu près tout le monde lui dit que c’est de la folie, mais par égard pour Florian Philippot, elle n’a pas renoncé à cette désastreuse disposition prévue dans son programme. Elle continue de naviguer sur ce qui lui convient le mieux, l’aversion pour les autres partis, l’intolérance, la xénophobie qu’elle laisse maintenant à ses amis le soin de colporter allègrement, un programme économique mi-poujadiste, mi-étatiste irréaliste. Mais elle reste convaincue que le seul moyen de faire de sa formation un parti de gouvernement, c’est de le sortir d’une idéologie trop marginale et de le rendre acceptable pour une plus grande partie de la population. Avec des apports venus directement de l’extrême-gauche, le pari est risqué. La proposition de fournir des parrainages à Mélenchon, est plus à l’attention de son électorat qu’à lui-même, et peut-être aussi pour le plaisir de le voir fulminer. Avec elle, Machiavel n’est jamais loin.
Néanmoins, il y a loin de la coupe aux lèvres et l’habit ne fait pas le moine. Si sa stratégie peut paraître intelligente et lui apporter des dividendes intéressants, il y a une limite à la contradiction qui consiste à faire du FN un parti à la fois comme les autres et différent de tous les autres. Elle ne peut pas prétendre à plus de vertu que ses concurrents de droite ou de gauche. Le programme du Front National passe forcément par l’intolérance et une certaine violence, ce qui met de sérieuses limites à son caractère « républicain ».
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