LA PRIMAIRE : JUPPE FAIT LA COURSE EN TÊTE
17 janvier 2016
Depuis le 4 janvier dernier, la campagne est lancée.
Et Alain Juppé qui avait déjà la faveur des sondages tout au long de l’année 2015 peut savourer la dernière étude qui est tombée : non seulement il reste en tête, mais creuse l’écart. Avec 38% des intentions de vote, devant Nicolas Sarkozy à 29% (IFOP), il accroit son avance. Est-ce le résultat de son offensive médiatique avec la publication de son livre sur l’Etat fort ? C’est possible. Les thèses qu’il y développe le rapprochent en effet de l’électorat traditionnel de la droite, qui attend des réponses fermes sur le régalien. Une manière de corriger l’impression que son positionnement concédait trop au centrisme.
Lors du Grand Jury RTL, en octobre dernier, il tenait encore un discours très modéré : « Je suis là pour apaiser et rassembler », répétait-il à l’envi, ajoutant même : « s’il y a des déçus du hollandisme qui veulent nous rejoindre, ou des électeurs du FN, ils sont les bienvenus ». A l’époque, il tenait aussi à se différencier de Fillon, en condamnant toute nécessité de rupture, lui préférant la notion de « changement », plus classique… et aussi moins porteuse de sens. D’ailleurs c’est le style qu’il voulait donner à sa démarche, annonçant vouloir bâtir un projet pour la France qui sorte un peu des clivages traditionnels, se revendiquant « réformiste ». Il pense qu’il ne faut pas ouvrir des fronts de tous les côtés et plaide pour les réformes en douceur. Le point de comparaison là-dessus est facile. Raffarin avait appliqué la méthode Juppé, une réforme après l’autre, avait rencontré beaucoup de difficultés et finalement réalisé peu. Nicolas Sarkozy avait mené de fronts toutes les réformes. Toutes n’ont pas été jusqu’au bout, mais contrairement à ce qui est dit couramment, le total est impressionnant. Néanmoins, le Maire de Bordeaux annonce la sortie des 35 heures, pour revenir à 39 heures, et on le sait maintenant, il veut renforcer le rôle de l’Etat, renégocier Schengen, conditionner le regroupement familial, simplifier la procédure pénale… tout en revendiquant son « identité heureuse ».
Dans son positionnement, on reconnait une posture assez chiraquienne, sur le thème du « rassemblement ». En cela, l’imprégnation gaulliste de sa manière de faire ne renie pas la source de son engagement. Comme son ancien mentor, il sait que les périodes trop longues dans la peau de favori se paient parfois très cher. Sa stratégie était de ne changer ni de tempo, ni de ligne, affichant sa sérénité face à ses concurrents. Son livre sur l’éducation n’avait pas dépassé le succès d’estime et s’était révélé assez ennuyeux à lire. Et de fait il y prenait mille précautions pour ne pas déplaire aux enseignants. C’est pourtant à un changement de pied auquel il s’est livré pour enclencher le deuxième temps de sa campagne avec son livre « Pour un Etat fort ». Il fallait de toute urgence reconquérir une partie du noyau dur de son électorat à droite, un peu hésitant à son égard en raison du soutien réitéré de Bayrou à sa candidature. Il n’a pu rester, comme il le souhaitait, à contre-courant de l’exigence actuelle de fermeté, cherchant à résister à une forme de radicalisation qu’imposait la ligne suivie par Sarkozy. Les attentats de novembre ont dû jouer le rôle d’un électrochoc. Il a visiblement ressenti le besoin d’écouter cette exaspération française qui traverse tout le spectre politique, au risque sinon de se retrouver décalé par rapport au centre de gravité de l’électorat de droite.
Il ne suffit pas de faire la course en tête. Il faut y rester. Ses concurrents sont eux aussi en campagne. Et on connait la pugnacité d’un Nicolas Sarkozy que ne se laissera pas facilement déposséder de son désir de revenir aux affaires. Alain Juppé est capable d’infléchir sa stratégie, comme on vient de s’en apercevoir. Il a de l’expérience, non seulement pour avoir été de nombreuses fois ministres et même le Premier d’entre eux, mais aussi en matière de tactique. Il n’est pas tombé de la dernière pluie pour mener une campagne. Reste que ses deux passages en Maine-et-Loire ne m’ont pas complètement convaincu. Je l’ai trouvé à chaque fois trop académique, incapable de se passer de son papier qu’il lisait ; le discours était là, mais pas l’orateur. C’est un point qu’il devrait travailler : le souffle, l’emphase doivent emporter une salle. Les campagnes présidentielles, c’est aussi sur la capacité à convaincre par le geste et la voix qu’elles se gagnent. Personne ne conteste qu’Alain est un homme carré, solide, compétent. Son âge n’est pas un handicap a priori, encore qu’il faille tenir un rythme épuisant pendant de longs mois. Il a gardé des munitions : il a prévu de jalonner son parcours tout au long de 2016 en publiant des « livrets » et encore deux livres programmatiques, un sur l’économie et un autre à l’automne. Il a un atout de taille dans son jeu, qui est aussi un non-dit : la seule chance de Hollande, c’est que Sarkozy gagne la primaire et que Bayrou se présente. Et à droite, les électeurs le savent.
Je serais encore plus convaincu si j’étais vraiment certain qu’il est bien devenu girondin. Son dernier livre penche plutôt du côté jacobin. C’est ce qu’il dira sur avenir de l’Europe qui comptera à mes yeux.
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