MEFIONS-NOUS DE l’EFFET « LOUPE »
11 décembre 2015
Les commentateurs font toujours dire aux chiffres des choses que ceux-ci ne disent pas forcément. Il y a une chose qui me frappe : jamais le fait que 50% des Français ne se sont pas exprimés n’est pris en compte. Or ça change tout.
Ainsi le FN ne représente pas 30% des Français, mais 15%, ce qui est encore trop, ou déjà beaucoup, comme vous voudrez. Vous me direz alors que les autres partis ça n’est pas mieux. Evidemment.
Sauf que… il faut prendre en compte le facteur « mobilisation » des électorats. Il existe en France des courants d’idées avec des électorats « fluides » qui ne se mobilisent que dans les grandes occasions. Cela concerne généralement plutôt la droite et le centre, et une partie de la gauche modérée. Le fait est que plus un électorat est radicalisé, plus il est « captif ». Le modèle était autrefois celui du PC, c’est aujourd’hui celui du FN.
Cela pour dire quoi ?
Que le FN a fait le plein de ses voix au 1er tour. Qu’il n’en gagnera guerre au second. D’ailleurs son score n’est pas extravagant comme on tente de nous le faire croire : quelques 6 millions de voix à recouper avec les 6 500 000 voix de Marine Le Pen à la Présidentielle de 2012. Je peux prédire sans grands risques de me tromper qu’il en perdra même là où il n’est pas en situation de l’emporter comme dans les Pays de la Loire.
Les autres listes n’ont pas fait le plein et le résultat du second tour dépendra en grande partie du degré de mobilisation de leurs électeurs. A gauche, partie en ordre dispersée, il faut se rabibocher : une cuisine pas toujours bien compréhensible pour le citoyen moyen qui peut y voir des accords de façade pour garder des postes. A droite et au centre, l’union a été faite dès le départ, mais on le sait bien, c’est toujours un peu réducteur. On peut penser que l’effet produit par l’arrivée en tête du FN dans six régions sera mobilisateur. D’où la vague de sondages qui annoncent tous un redressement de ses résultats dimanche prochain. Soyons prudent, cela ne sera vérifié qu’une fois que les urnes auront parlé.
Néanmoins, le mode de scrutin régional est vraiment un piège à c… Mi proportionnel, mi majoritaire, avec des listes départementalisées, il est à la fois le plus complexe et le plus hermétique pour la répartition des sièges. Il faut avoir fait polytechnique pour savoir combien de sièges peut capter une liste en fonction des différents scores obtenus dans les départements. Alors imaginez dans les nouvelles régions au découpage titanesque comme Poitou-Charentes-Limousin-Aquitaine ! Quel rapport entre l’habitant de Niort et celui de Saint-Jean Pied de Port ? Il oblige quasiment à faire l’union dès le 1er tour sous peine d’être marginalisé. Il est fait pour déboucher sur un duel. Sauf si trois listes arrivent à égalité…
Le cas de figure que nous connaissons a conduit à des contorsions et des débats scabreux sur la question des désistements pour entrer dans le schéma du duel. Surtout s’il faut faire barrage au FN. Cela conduit à éliminer un courant politique de sa possible représentation dans les assemblées régionales pendant six ans. Est-ce acceptable ? Les triangulaires pouvaient être mortifères pour la droite comme pour la gauche, on le savait. Alors pourquoi avoir supprimé la réforme qui instituait le « conseiller territorial », élu au scrutin uninominal, infiniment plus clair et plus simple pour tous les électeurs. Terrible leçon pour la gauche et Hollande qui ont refusé de l’appliquer alors qu’elle était votée. Ils en paient le prix aujourd’hui !
Enfin, l’effet loupe se retrouve aussi dans le « rôle décisif » que la vague migratoire et les attentats ont eu sur le vote FN. Je le disais dans un billet précédent, c’est confirmé par une étude de l’IFOP. Un gain de 5 à 10 points en « exprimés » (dans un contexte de 1 sur 2 qui vote). On constate une forte amplification du vote en PACA. De même, dans le Nord, et particulièrement à Calais. A l’inverse, les terroirs où le FN fait moins qu’aux européennes sont des fiefs de droite où certains candidats, en fonction de leur ancrage local, parviennent à faire refluer ce vote. Alors que c’était l’électorat mélenchoniste qui apportait à Marine Le Pen ses points de progression, les attentats ont favorisé le basculement d’une frange de l’électorat de droite, touchant l’électorat catholique, les artisans et les commerçants. Et l’institut identifie bien les ressorts : il s’agit des thèmes de sécurité des personnes et des biens, de la lutte contre le terrorisme ou de l’accueil des migrants. Autrement dit un « vote reflexe » dès lors que la proximité des événements fait qu’on est encore dans l’émotion.
On est loin de l’idée d’adhésion à un projet que la plupart de ces votants ne connait pas. Sinon quel boulanger voterait pour un parti qui prévoit dans son programme le retour du contrôle des prix des produits de consommation courante, autrement dit le prix de la baguette fixé par Bercy !
Il ne nous reste plus qu’à espérer que l’électorat modéré, qui ne s’est guère exprimé, comme toujours dans les élections intermédiaires, se réveille dimanche prochain. Et espérer aussi que l’effet loupe ne profite pas trop à « pépère » qui prendra encore un avion pour aller voter, parce que vraiment, avec le bilan qu’il nous inflige et ses 700 000 chômeurs supplémentaires, il ne le mérite pas. Déjà que le découpage des régions était fait pour mettre à l’abri certains caciques !
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