LES « ABENOMICS » EN ECHEC
15 septembre 2014
Ceux qui suivent régulièrement le bloc-notes savent que je suis depuis son arrivée au pouvoir la politique de Shinzo Abe, le premier ministre japonais. C’est une tentative de redressement économique pour sortir le Japon de la déflation et relancer la croissance en utilisant des procédures qui rappellent par certains aspects ce que propose Marine Le Pen dans son programme. Sachant, évidemment, que le contexte japonais est très différent de celui de la France.
Rappel bref : le gouvernement conservateur nationaliste est revenu au pouvoir il y a presque deux ans. Il a été élu sur un programme qui proposait un grand plan de redressement qui s’appuyait sur trois volets ou « flèches » : incitations fiscales combinées avec une injection massive de liquidités pour faire baisser le yen, puis des réformes structurelles. On a appelé cet ensemble de mesures : les « abenomics ».
L’audace des premiers mois a laissé place au désenchantement. Après quelques frémissements au début, les deux premières flèches ont raté leur cible. Le grand plan de redressement ne s’est pas déroulé comme prévu. Les stimuli fiscaux n’ont dopé l’activité que quelques mois et au 2ème trimestre 2014 le PIB s’est effondré avec un recul de 7% en rythme annuel. La baisse du Yen et les facilités en liquidités offertes par la banque du Japon n’ont que faiblement profité aux entreprises dont les demandes de prêts stagnent comme celles des particuliers. Pourtant la monnaie a perdu 25% de sa valeur au cours des 20 derniers mois. Cette dépréciation devait relancer la production mais les exportations n’ont jamais décollé et elle a surtout renchéri le coût des produits importés.
Cette politique avait aussi pour but de provoquer un choc inflationniste dans un pays rongé par la déflation depuis deux décennies. Celui-ci a bien eu lieu : les prix ont augmenté d’environ 1,5% et ils vont encore progresser de l’avis général. Mais la hausse des salaires qui devait en être la résultante n’a pas eu lieu et les Japonais ont vu leur pouvoir d’achat baisser de 6%. L’explication est simple : les groupes du pays ont préféré consolider leurs marges et n’ont pas modifié les prix de leurs marchandises en devises étrangères, ils ont continué leurs délocalisations et la compétitivité de leurs produits a continué de s’effriter face à la concurrence asiatique, notamment dans l’électronique. Ils n’ont donc pas augmenté les salaires. Par contre les ménages paient plus cher leur essence, leurs légumes ou leurs Iphone assemblés en Chine.
Le récent relèvement de la TVA de 5 à 8%, intervenu dans ce contexte, et qui faisait partie du plan initial pour contrebalancer l’émission de liquidités, n’a fait qu’accentuer la contraction de la demande. Les classes moyennes sont aujourd’hui moins bien loties qu’il y a un an et la situation est pire encore pour les travailleurs précaires et les femmes qui représentent 40% de la masse salariale de l’archipel. Résultat : jamais les Japonais n’ont été aussi prudents dans leurs achats. Nouveau pari perdu pour Shinzo Abe qui voulait changer l’état d’esprit de la population pour la rendre plus optimiste et la pousser à consommer.
C’est dans ce contexte déprimé que le premier ministre doit lancer sa dernière « flèche », celle des grandes réformes structurelles qui doivent libérer les énergies. Aucun des grands chantiers n’a réellement été lancé. Le Japon reste très protectionniste sur une poignée de produits agricoles jugés sacrés, la réforme du marché du travail végète, les dérégulations sont repoussées, et surtout, le péril démographique d’un pays très vieillissant reste ignoré. En même temps, la dette publique a grimpé et atteint les 230% du PIB. Et normalement il doit enclencher l’an prochain le second volet de la hausse de la TVA nécessaire pour éviter un dérapage irrémédiable des finances publiques. Un exercice périlleux à l’approche de nouvelles élections à la mi-2016.
Dévaluation de la monnaie, protectionnisme, hausse de la TVA, baisse de l’impôt sur les sociétés, déficit budgétaire, dette abyssale… le soufflé des « abenomics » est retombé. Les investisseurs désertent et l’indice Nikkei pique du nez. La dégringolade de l’investissement (-19%) est particulièrement inquiétante et les stocks étant pleins, la demande des prochains mois n’entrainera aucune production supplémentaire. La banque du Japon prépare un nouveau choc monétaire pour l’automne avec pour objectif de relancer l’économie. Le pire est donc à craindre.
Moralité : on ne peut pas faire une politique de relance économique tout seul dans son coin dans un monde ouvert et faire du protectionnisme quand on a de grands groupes internationaux qui font vivre le pays. Il faut reconnaître que le vieillissement de la population est un handicap supplémentaire. Cette politique vaguement nationaliste inspirée de celle des années 30 ne pouvait pas marcher.
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