LA PERCEE POPULISTE
24 avril 2012
C’est l’événement du premier tour et la clé du second. Mais au-delà, nous assistons à une modification profonde de la géographie électorale. En effet, plus de 350 circonscriptions législatives pourraient se retrouver sous la menace d’un candidat FN qui se maintiendrait, avec des conséquences désastreuses, en premier lieu pour la droite républicaine, mais pas seulement, car la gauche serait bien naïve, profitant de l’aubaine, de se croire à l’abri.
Ce phénomène n’est pas conjoncturel.
Il était clairement perceptible dans les résultats des élections cantonales de 2010. Ceux qui pensaient que le taux de participation avait amplifié l’effet en pourcentage des gains de voix du FN ne peuvent plus le penser quand la participation atteint 80%. De même que l’explication par la situation économique n’est pas pertinente pour comprendre un phénomène d’une telle ampleur dans son déploiement territorial.
Cette progression de l’extrême droite n’est pas un phénomène isolé. Elle touche toute l’Europe. Et le contenu du message est à peu près le même partout. C’est une mutation du message nationaliste classique qui trouve son inspiration dans les difficultés de tous ordres que notre continent traverse. Ce que Dominique Reynié décrit comme le « populisme patrimonial » correspond bien au phénomène français que nous observons. Sa percée n’a pas qu’une seule explication.
Au moins cinq raisons expliquent cette percée.
J’ai trouvé au moins cinq raisons qui éclairent le vote en faveur de Marine Le Pen dans notre pays.
En premier lieu, l’abaissement de la fonction présidentielle. Le Président lui-même en est un peu responsable avec les quelques erreurs qu’il a commises en début de mandat. L’acharnement de la gauche, les insultes, le pilonnage médiatique avec des titres ravageurs et outranciers ont fait le reste. Il en est résulté une déstabilisation durable du statut du Président, ce qui dans un pays quasi-monarchiste est vécu comme une régression par une partie de l’électorat.
La suspicion sur l’honnêteté de la classe politique vient ensuite. De quoi alimenter le « tous pourris » qui est le meilleur vecteur pour le vote extrémiste. Là encore, l’exploitation par la gauche et certains sites de l’affaire Bettencourt a contribué à discréditer Nicolas Sarkozy. C’était fait pour ça, et encore récemment on a assisté à des tentatives de la faire ressurgir dans la campagne. Une gauche qui joue avec le feu car elle n’est pas exemplaire elle-même. Il suffit de regarder où Marine Le Pen s’est ancrée : à Hénin-Beaumont au coeur d’un département dont on sait aujourd’hui que le personnel politique du PS est pourri jusqu’à la moelle avec un clientélisme et un système mafieux dont on n’a pas fini de découvrir tous les rouages, mais dont l’ancien maire, Gérard Dalongeville, en décrit l’essentiel. Il faudrait citer aussi l’affaire Guérini, dans les Bouches du Rhône et d’autres encore… sans oublier le fonctionnement interne du Ps découvert à l'occasion de l'élection de Martine Aubry !
Le sentiment d’impuissance politique face aux événements joue aussi un rôle. Les Français ont une faible perception du travail énorme du gouvernement qui a été mené pour les protéger et atténuer les effets des crises successives. Epargnés dans leur grande majorité, ils n’ont pas eu le sentiment de la gravité des choses, sauf ceux qui ont été frappés de plein fouet et ont subi pertes d’emplois et précarité malgré les amortisseurs sociaux. Pour ceux-là, les « politiques » sont des bons à rien. Alliés à la perte de confiance dans la classe politique, le doute sur l’Europe et ses trop laborieuses solutions, le sentiment de perte de souveraineté pour notre pays -comme si la maîtrise de notre destin était en cause-, la mondialisation vécue comme une menace –ce qui peut se comprendre alors que les délocalisations d’entreprises sont autant le fait d’erreurs nationales comme les 35 heures-, tout cela constitue un cocktail explosif dont on connait maintenant l’ampleur.
L’insécurité, la xénophobie qui va souvent avec, et la montée de l’islamophobie devant les exigences de plus en plus visibles d’un certain communautarisme musulman, certaines légitimes comme l’accès à des lieux de culte décents, d’autre plus difficilement admises parce qu’elles touchent à des codes vestimentaires plus ou moins choquants ou dérangent par leur visibilité comme les rayons de nourriture Hallal dans les supermarchés. Ainsi fleurit le populisme patrimonial sur le mode : « on est chez nous, tout de même ». Sans admettre que les musulmans français aussi. Le mot « patrimonial » décrit ici un mode de vie, une culture, des traditions censées représenter la France éternelle sur ses fondations chrétiennes (alors que les églises sont vides et qu’on n’a plus de curés).
Et puis j’ajouterai le détonateur : l’effet Merah. Je vois dans la montée du vote Le Pen, le contre coup a posteriori des affaires de Toulouse et Montauban, à la fois conscient et inconscient. La perception subite d’un danger « jihadiste » lié à l’immigration qu’il faudrait, du coup, arrêter à tout prix. Sauf que l’auteur était Français… Mais la protestation et le besoin de protection se sont réfugiés dans le vote pour celle qui a sur le sujet le discours le plus radical.
Mais qui sont-ils, ces électeurs qui ont grossi les rangs des protestataires de plus d’un million en dix ans ?
Le vote Le Pen touche tous les territoires, aussi bien les banlieues des villes que les bourgs ruraux. 35% à Saint-Just sur Dive au fin fond du Maine-et-Loire, ça ne s’invente pas. Il touche des électeurs divers : ouvriers, petits bourgeois, agriculteurs, professions libérales qui trouvent des raisons dans le patchwork décrit ci-dessus et que le discours attrape-tout, mi-nationaliste, mi-socialiste, de la présidente du Front national réussit à capter. Ils viennent de l’extrême-droite traditionnelle, catholique et pétainiste, de la droite nationaliste classique. Beaucoup viennent de gauche et constituaient autrefois les bataillons du PC. Ce sont ceux que Mélenchon a espéré un moment attirer à lui. Ce sont aussi des électeurs de tous âges. Tous ceux qui d’une manière ou d’une autre croient que le protectionnisme, la fermeture des frontières, la fin de l’euro, la sortie de l’Europe, pourraient améliorer leur situation.
Quelles conséquences ?
Tout dépend du degré de captivité de ces votes : quel pourcentage suivra les consignes données ? Ou au contraire, une fois la protestation exprimée le retour vers le vote utile qui, en toute logique, ne pourrait être que pour Sarkozy qui défend les thèses les plus proches. Là est la clé de sa victoire. L'intérêt de Marine Le Pen est de pratiquer la politique du pire. Mais le scénario le plus calamiteux, qui n’est pas à exclure, serait qu’il soit réélu et qu’ensuite il n’ait pas de majorité acquise à l’Assemblée Nationale à cause des triangulaires imposées par le FN. Une situation intenable pour le Président avec un Sénat à gauche.
Mais on n’en est pas encore là.
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