HISTOIRE

TOUCHE PAS A MON TESSON !

Sylvain tesson

 

Triste époque, décidément !

Sylvain Tesson nous gratifie d’un nouvel ouvrage : « Avec les fées » dans lequel il nous conte son « Odyssée » celtique de  l’Espagne à l’Ecosse, à la poursuite du merveilleux. J’ai hâte de le lire. Cet homme étonnant m’a fait rêver avec son voyage méditerranéen dans les pas d’Ulysse, en refaisant le parcours du héros grec.  Il est  cet aventurier en quête d’absolu qui passe  un hiver  au bord du lac Baïkal en Sibérie, il est l’auteur de la « Panthère des neiges », Prix Renaudot 2019, il est celui  qui traverse la France  en diagonale, sur « les chemins noirs » … Voilà un écrivain  qui sort du lot, par la qualité de son écriture, son style lumineux, son regard émerveillé sur le monde. Rien d’étonnant à ce qu’il ait conquis un large public.  Il écrit en bon français et chacun de ses romans connait un large succès : deux défauts  qui le condamnent et le rendent suspect. Suprême  horreur : il croit encore en certaines valeurs. Et voilà qu’une clique de soi-disant intellectuels qui ne les partagent pas dénonce sa désignation pour parrainer le « Printemps des Poètes » 2024. Son crime : il serait « réactionnaire », proche de l’extrême-droite. La pétition, nous vient évidemment de cette  gauche woko-marxiste qui renoue pour le coup avec le stalinisme. Il est interdit d’être différent et de sortir du  moule intellectuel des « bien-pensants » ! 

Le Printemps des  poètes.

« Le Printemps des poètes » est une belle manifestation littéraire, festive et ouverte. Depuis 1999, elle met à la portée du plus grand nombre de beaux textes de notre littérature, partout en France. Chaque année, une marraine ou un parrain s’en fait le porte-drapeau. Sophie Nauleau, la directrice artistique, a désigné Sylvain Tesson pour les 25 ans du Printemps, qui se tiendra du 9 au 25 mars prochains. L’idée va de soi quand on connaît l’œuvre de cet «arpenteur d’altitude, de steppes, d’à-pics et de poésie», tel que le qualifie Sophie Nauleau, qui explique son choix : « Les poètes escortent Sylvain Tesson dans toutes ses aventures. Pas un périple qui ne se réfère à eux. Pas un récit qui ne les convoque. Souvent ce baroudeur esquisse même des haïkus sur sa route, voire d’autres pensées sauvages. » Tesson a écrit Un été avec Homère et Un été avec Rimbaud. Rien de choquant donc dans sa désignation comme parrain, bien au contraire !

Une cabale sordide.

Visiblement, l’idée n’allait pas de soi pour tout le monde. Sur le site de Libération, le jeudi 18 janvier  dernier, est diffusée une tribune titrée: « Nous refusons que Sylvain Tesson parraine le Printemps des poètes « , par un collectif dont Baptiste Beaulieu, Chloé Delaume, Jean D’Amérique… Dès les premières lignes, le texte prend une tournure politique : il y est question du second mandat d’Emmanuel Macron, de son « projet politique plus que jamais proche de l’extrême droite », -risible-, de Marine Le Pen, et de la nouvelle loi sur l’immigration. Si vous voyez le rapport avec Tesson, prévenez-moi. Ainsi, notre  belle  plume serait une « icône » réactionnaire. De quoi tomber dans le  Panot !  dirait Mathilde. Le texte est d’une indigence sans nom, émaillé d’interprétations erronées et qui plus est écrit en français « inclusif ».  Beurk ! Bref, il  suinte l’idéologie d’extrême-gauche. Ils seraient 1200 à avoir signé cette tribune sur le numérique, mais pas seulement des poètes : il y a des éditeurs, des libraires, des bibliothécaires, des enseignants et des acteurs de « la scène culturelle française ». Voilà un bel  exemple  de ce qu’internet  peut générer, un agrégat de bêtise et de sottise. Le fait que ce soit le site du journal Libération qui accueille une telle horreur n’est pas anodin. Pour le coup, il porte bien mal son nom. « Aliénation » conviendrait mieux !

Incroyable renversement de la liberté d’expression.

Ce qui est étrange, dans cette condamnation, c’est qu’elle va à l’encontre d’une notion jusqu’ici sacrée dans le monde de la culture, de l’art et donc de la poésie : la liberté. Celle-ci est même à l’origine de toute création. Il y a un demi-siècle, Sartre n’avait que prises de position véhémentes, invectives contre la Ve République, et mettait en avant sa défense de l’URSS ou la Chine. N’était-ce pas Libération qu’il avait créé ? Tiens, ce journal même qui a publié la pétition demandant la proscription de Tesson. Interrogé sur le sort à réserver au trublion Sartre, le général de Gaulle avait tranché : « On n’emprisonne pas Voltaire. » En 2024, on n’emprisonnera ni Voltaire ni Tesson. La poésie fleurit partout. Et c’est le moment que choisit une « gent culturelle », un « collectif »  pour inquiéter  les écrivains. Aujourd’hui Tesson, demain qui ? « Poète… vos papiers ! » lançait naguère Léo Ferré. C’était, pour le vieil anarchiste, provocation et ironie, et voilà que c’est devenu une réalité : il est demandé à Tesson ses papiers. Lui que « ses semelles de vent » ont mené partout dans le monde, en Sibérie, en Amérique centrale, un visa d’entrée dans la culture, la poésie, lui est refusé par des douaniers staliniens autoproclamés. Ce serait risible et insignifiant s’il n’y avait plus grave dans cette affaire, qui montre qu’un vent mauvais souffle sur la liberté d’expression. Car les auteurs de ce lynchage médiatique ont perdu le sens de la mesure, projetant leur vanité, leur bêtise dans une condamnation aussi rigoureuse que celle qui  brûlait, jadis, les sorcières.

La démission de Sophie Nauleau.

En fait, Sylvain Tesson n’est qu’une victime expiatoire. Le journal Libération qui s'était fait le réceptacle de la pétition contre lui a dévoilé le pot-aux-roses dans un nouvel article : « La question n'est pas Sylvain Tesson, c'est : qui l'a nommé parrain ? » La véritable cible était Sophie Nauleau, la directrice artistique du Printemps des poètes et, à travers elle toute la manifestation qui fête ses 25 années d’existence. Elle est très vite attaquée jusque dans sa vie personnelle, chargée elle aussi de tous les maux, y compris de ne pas faire de la place à la poésie issue de TikTok, « Le Printemps des poètes » étant jugé classique, voire «poussiéreux», Si ça ne pue pas le wokisme… Toutes ces considérations étant franchement injuste pour les acteurs et le public des milliers de spectacles que la manifestation génère. Au fil des années, elle est devenue un grand rendez-vous qui diffuse la poésie partout, dans les écoles, les salles de spectacles, des lieux inattendus, et même dans le métro. C'est l'institution même qui était visée, l'attaque prenant d'autres formes que le choix du parrain ou l'aspect artistique. Evidemment Le Monde s’est  senti obligé de venir à la rescousse : « huit anciens salariés évoquent un management traumatisant », de la part de la direction. « Ils dénoncent ce qu'ils considèrent comme l'entre-soi étouffant d'une institution vieillissante, et le management douloureux dont ils auraient été victimes ces dernières années », est-il écrit. Ce même article souligne néanmoins qu'il n'y a eu aucune plainte en justice ni de saisie des prud'hommes. Quand on veut tuer son chien … Sophie Nauleau a choisi le silence, et elle a bien raison.  Pourquoi s’abaisserait-elle devant tant de médiocrité. Il faut le dire, de l'avis de beaucoup, la manifestation, qui se tiendra du 9 au 25 mars, partout en France, est un moment festif où, justement, se rassemblent toutes les poésies, y compris les plus contemporaines.

Quel est mon crime ? Qui sont mes juges ? lance l’auteur.  Alors, avec le poète, je proclame : « Sur un cahier d’écolier, sur un pupitre et sur les arbres, sur les livres de Tesson, sur l’affiche du Printemps des poètes, j’écris ton nom, liberté. »


PARENTHESE PARISIENNE

Soy de Cuba001

Un peu d’évasion dans ce monde où les mauvaises nouvelles tombent plus vite que les missiles sur les djihadistes, ça fait du bien. Tourner le dos à l’actualité a aussi son revers : elle a vite fait de vous rattraper. Bon, en attendant, pas de regrets.

Jeudi soir nous étions en famille à la Cigale pour une soirée détente et divertissante. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle fut réussie. A l’affiche : « SOY DE CUBA ! », une comédie musicale de belle facture, au rythme endiablé avec des protagonistes de qualité exceptionnelle. Certes le fond de l’histoire est un roman à l’eau de rose, la paysanne éternelle qui veut vivre son rêve de danseuse et s’exile à la grande ville pour y tenter sa chance. Suit un parcours sans surprise : serveuse, puis remplaçante, jalousies, … puis la gloire ! Mais quel spectacle ! Une mise en scène précise, un orchestre sur scène aux musiciens talentueux, des danseurs et danseuses multipliant les figures époustouflantes d’agilité et de précision, avec une sensualité de bon aloi.

Amateurs de rumbas, de mambos, de sambas, de tangos, de salsas, pas de temps à perdre ! « Soy de Cuba » se joue jusqu’au 7 décembre à La Cigale, à Paris. Et vous aurez encore une chance avec la tournée qui suivra dans toute la France. Publicité non payée.

Et pour finir une dinette à la « Cantine » voisine. Des plats simples dans le style « bistrot » servis avec le sourire et des mets de belle qualité, signés Christian Etchebest. Autrement dit, la « totale ».

 

 


"BRAVO, C’EST NOUS QU’ON PAYE !"

 

Tout le monde se tait, mais le fait est avéré et rapporté par le journal « Les Echos » : en 2009 (dernier bilan connu), les intermittents, techniciens et artistes, du spectacle vivant représentent 3 % des allocataires de Pôle emploi, mais 33 % du déficit de l'assurance-chômage. Cent mille personnes couvertes, 1 milliard d'euros de pertes. En clair ils ont reçu 1,3 milliard d’euros pour 223 millions de cotisations versées. un déficit qui est un spectacle (dramatique) à lui seul. Vous comprenez maintenant pourquoi les coulisses sont interdites au public.

Et pourtant, on croyait le problème résolu avec les réformes de leur régime en 2003 puis 2006. On se souvient même du conflit qui avait duré tout l’été  et qui avait pourri les grands festivals. C’est qu’à défaut de bosser, ils ont une grande capacité de nuisance. Toucher à ce régime, c’est s’exposer à de gros ennuis.

On sait que les règles spécifiques d'indemnisation sont plus souples que celles du régime général puisque, pour en bénéficier, il faut avoir travaillé 507 heures en 10  mois ou 10,5 mois, selon la profession. Et ce qui est bizarre c’est qu’alors que la crise a provoqué une explosion du chômage en 2009, avec plus de 400.000 demandeurs d'emploi supplémentaires sur douze mois, le nombre d'allocataires des annexes 8 et 10 (régime des intermittents) n'est passé que de 104.208 à 105.826 entre 2008 et 2009. Cherchez l’erreur ! Depuis la dernière réforme du régime, entrée en vigueur en avril 2007, la situation reste la même, le déficit toujours aussi important. En 2009, les deux déficits ont même presque correspondu, celui de l'Unedic atteignant 1,172 milliard d'euros : de là à affirmer que sans les intermittents et leurs « privilèges » (il faut bien le dire) … Insoutenable ! Aucun autre pays européen ne réserve à ses artistes un traitement spécifique et sur mesure, assorti de cotisations et prestations enviables par le commun des salariés. On voit mal en quoi « l'art » serait un passe-droit dans la galère ordinaire du chômage : il n’est pas outrancier de parler de privilège.

Mais les intermittents sont-ils les seuls responsables ? Le déficit du régime ne renvoie-t-il pas au problème posé par les pratiques de « certaines entreprises » qui usent et abusent du statut de l'intermittence ? Car ce régime constitue de fait un financement de la politique culturelle française, dont peut-être l’Etat se satisfait. Il n’en reste pas moins une absurdité, dont les bénéficiaires des deux côtés ne se plaignent pas. On dit même que des « célébrités » de l’audiovisuel touchent une partie de leur rémunération (confortable) par ce biais en ne travaillant que 3 jours par semaine. Mais chuuutt ! C'est le grand non-dit de la négociation sur l'Unedic qui a démarré entre le patronat et les syndicats la semaine dernière.

Il ne devrait pourtant pas être difficile d’identifier ceux qui abusent du système et d’y mettre un terme, non ?  Au fil des ans, la générosité publique en faveur des artistes, érigée en acquis social par leurs bruyants représentants, a été détournée de son objet. Il devient urgent d'infliger des taux de cotisation pénalisants aux employeurs et aux salariés qui abusent du système, car il est choquant que l’indemnisation soit utilisée comme un mode permanent de rémunération.



NUIT D’ANTHOLOGIE


    Festival d'Anjou001                                                  

 

Il fallait un spectacle d’exception pour l’ouverture de ce 60ème Festival d’Anjou. Anniversaire réussi avec une pièce de Shakespeare en clin d’œil avec le « Roméo et Juliette » de la première édition, la « Nuit des Rois » jouée magistralement par des comédiens brillants et inspirés.

 

Et le choix de Nicolas Briançon s’est révélé judicieux dans tous les domaines : le texte de Shakespeare, écrit au XVIIème siècle rappelons-le, s’inscrit parfaitement dans notre modernité, avec ce qu’il faut d’humour et de provocation, où la finesse se sert de la vulgarité pour être mise en valeur ; la mise en scène bondissante qu’il a imaginée, relayée par le jeu des acteurs, permet de tenir le public par le rythme endiablé des situations les plus inattendues passant de la pose romantique au burlesque hilarant ; enfin, le choix des acteurs qui jouent leur partition au plus juste, avec une fraîcheur et un enthousiasme qui ont vite séduit le public.

 

Dans ce registre, impossible de délivrer des mentions qu’il s’agisse du « fou » jonglant avec les mots et susurrant ses chansons d’une voix doucement modulée, du majordome qui sombre dans sa folie d’arriviste, des joyeux lurons en kilts qui nous servent une gigue endiablée ponctuée de « ferme ta gueule » tonitruants, une Viola qui fait oublier sa taille fluette par un jeu très pointu, une Olivia resplendissante de beauté…. Dans des costumes résolument contemporains, ce qui renforce la proximité que le public peut trouver dans le texte, qui, pourtant, a été scrupuleusement respecté par une transcription méticuleuse.

 

Voilà une pièce qui alterne les bouffonneries dignes des farces de Molière, des jeux de rôles dont on peut imaginer que notre grand dramaturge s’est inspiré, comme  ce passage dans lequel le « fou » imite plusieurs personnages dans l’obscurité et qui fait penser immanquablement à une scène des Fourberies de Scapin, avec des moments d’une grande subtilité sur le sens des mots ou l’analyse du sentiment amoureux.  Modernité de l’intrigue aussi dont on peut penser que Musset s’est inspiré pour écrire son mélodrame des « Jeux de l’amour et du hasard ». Il y avait des parentés de textes entre Molière et Cyrano. Rien d’étonnant à ce que le génial Shakespeare ait été source d’inspiration pour nombre d’auteurs…

 

Une « Nuit des Rois » qui restera dans les annales, et bien mise en valeur par le décor du château du Plessis Macé, tout-à-fait dans le ton.