Signe des temps : les codes changent.
Autrefois, la première chose qu’on demandait quand un interlocuteur
décrochait son téléphone et qu’on reconnaissait sa voix, c’était « Allo,
comment ça va ? ». La question de savoir où il se trouvait n’avait
pas de sens. Avec le téléphone fixe, la conversation se tenait d’un point
connu, un bureau ou un salon, à un autre point connu. Plus rarement elle
pouvait partir d’une cabine téléphonique. Alors la conversation commençait
invariablement par : « Je t’appelle de … »
On a connu « allo, tonton ? Pourquoi tu tousses… »,
de Fernand Raynaud et aussi : « Allo, « Berline », vous
pourriez pas me passer le 22 à Asnières », à l’époque glorieuse de l’installation
du téléphone en France, qu’il fallait attendre des mois. Puis l’automatique est
venu et les numéros ont remplacé les noms poétiques des centraux parisiens :
Jasmin, Réaumur… et nous n’avons plus eu les voix charmantes des standardistes
qui établissaient les connexions. Encore que, si l’on en croit Yves Montand
dans le « télégramme téléphoné », elles étaient parfois un peu déshumanisées.
Aujourd’hui, avec le développement du téléphone mobile,
on n’est plus sûr de rien, sinon de l’identité de celui ou celle qu’on appelle.
Si vous voulez vérifier que Madame est bien restée sagement à la maison,
bernique ! Et puis il faut croire qu’on a besoin de savoir où se trouve
exactement la personne à qui l’on parle : « allotéou ? »
est désormais la question qui vient automatiquement, comme pour se rassurer,
comme si le lieu précis avait une importance existentielle… On en viendra
ensuite aux questions plus familières.
Mais ce « allotéou » n’est-il pas la traduction d’un
malaise que fait naître en nous ce monde mouvant où tout peut sans cesse
bouger, où le message peut se promener au gré de nos errances et de nos
vagabondages, sans rien donner de sa géolocalisation. Mon œil ! Les
interlocuteurs peuvent se parler d’un endroit à un autre sans qu’ils en sachent
rien, mais « Big Brother », lui, sait
vous repérer et enregistre par quelles antennes-relais vos mots passent. Curieux
monde dans lequel ce sont des inconnus qui vous suivent à la trace et vous
enverront ensuite des «textos » de sollicitations publicitaires… dont vous
n’avez que faire !
Le portable sonne. « Allotéou ? » retentit d’une
voix claire…. Qu’est-ce que je vous disais, c’est ma fille !
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